Labyrinthique, onirique et méditative, chamanique et médiumnique, évanescente et granitique : telle est l'oeuvre de Pierre Cendors que l'on découvre à travers ces Archives du vent, jeu de solitaire mouvant et émouvant, étrange et fascinant, de casse-tête et de patience, sorti au Tripode le 17 septembre 2015.
« Est solitaire celui qui dit Je avec autorité et croit ce qu'il dit. Est solitaire celui qui vit en sécurité dans ses pensées. Est solitaire celui qui voit le monde à travers elle et ne voit qu'elles. Storm, lui, voyait au-delà ».
Fondu au noir. C'est encore peu de le lire, il faut le voir pour le croire.
Artiste tardif aussi discret qu'insaisissable, Egon Storm est l'inventeur d'un nouveau genre cinématographique basé sur un procédé exclusif d'archivage numérique - le « Ciné Art-chive », ou « Movicône » - permettant de faire jouer les morts.
Marlon Brando, Robert Mitchum, Louise Brooks surtout, ou encore Adolf Hitler, qui peuplaient jusqu'alors l'imagination de ce cinéaste hors du commun et du temps, reviennent ainsi sur le devant de la scène avec une telle véracité que leurs rôles antérieurs passent pour composés et compassés. En l'espace de trois films – Nebula, La Septième Solitude et Le Rapport Usher – et d'un document audio retraçant leur genèse, transmis à cinq ans d'intervalle à Karl Oska, ancien camarade propriétaire d'un ciné-club - « l'apprenti sorcier du cinéma islandais » devient à proprement parler une légende.
C'est à l'occasion de ce dernier document qu'Oska découvre l'existence d'un quatrième film inédit intitulé Solness, en même temps que celle d'un certain Erland du même nom auquel Storm s'adresse. Commence alors une véritable enquête visant à faire toute la lumière sur les éléments passés et présents de la vie d'Egon Storm, camera obscura - salle obscure et chambre noire à la fois – au sein de laquelle celui-ci développe et projette les films qu'il conçoit. Une investigation qui constitue également une formidable mise en abyme du travail de création en interrogeant la part du déterminisme et du libre arbitre, du réel, de l'imaginaire et de l'identité, à travers un récit à tiroirs, eux-mêmes à double-fonds, magasin d'écriture où l'on retrouve pêle-mêle un carnet de moleskine, une déesse en terre cuite, un Berreta, la date de l'équinoxe - à laquelle j'ai moi-même commencé la lecture de l'ouvrage – et ce grand poème qui s'intitule
« Est solitaire celui qui dit Je avec autorité et croit ce qu'il dit. Est solitaire celui qui vit en sécurité dans ses pensées. Est solitaire celui qui voit le monde à travers elle et ne voit qu'elles. Storm, lui, voyait au-delà ».
Fondu au noir. C'est encore peu de le lire, il faut le voir pour le croire.
Artiste tardif aussi discret qu'insaisissable, Egon Storm est l'inventeur d'un nouveau genre cinématographique basé sur un procédé exclusif d'archivage numérique - le « Ciné Art-chive », ou « Movicône » - permettant de faire jouer les morts.
Marlon Brando, Robert Mitchum, Louise Brooks surtout, ou encore Adolf Hitler, qui peuplaient jusqu'alors l'imagination de ce cinéaste hors du commun et du temps, reviennent ainsi sur le devant de la scène avec une telle véracité que leurs rôles antérieurs passent pour composés et compassés. En l'espace de trois films – Nebula, La Septième Solitude et Le Rapport Usher – et d'un document audio retraçant leur genèse, transmis à cinq ans d'intervalle à Karl Oska, ancien camarade propriétaire d'un ciné-club - « l'apprenti sorcier du cinéma islandais » devient à proprement parler une légende.
C'est à l'occasion de ce dernier document qu'Oska découvre l'existence d'un quatrième film inédit intitulé Solness, en même temps que celle d'un certain Erland du même nom auquel Storm s'adresse. Commence alors une véritable enquête visant à faire toute la lumière sur les éléments passés et présents de la vie d'Egon Storm, camera obscura - salle obscure et chambre noire à la fois – au sein de laquelle celui-ci développe et projette les films qu'il conçoit. Une investigation qui constitue également une formidable mise en abyme du travail de création en interrogeant la part du déterminisme et du libre arbitre, du réel, de l'imaginaire et de l'identité, à travers un récit à tiroirs, eux-mêmes à double-fonds, magasin d'écriture où l'on retrouve pêle-mêle un carnet de moleskine, une déesse en terre cuite, un Berreta, la date de l'équinoxe - à laquelle j'ai moi-même commencé la lecture de l'ouvrage – et ce grand poème qui s'intitule
Illustrant cette boîte de Pandore, la photo de Louise Brooks qui se dévoile, dame de pique au regard acéré dont l'image est inversée au verso. Au cœur de ce miroir, trois cents pages de blancheur noircie réunies coupées au montage par des intertitres à la manière d'un film muet. De l'ensemble se dégage le parfum nostalgique et suave de cet « autre réel » qui, désert, attend la venue de cet homme qui lui ressemble, à mi-chemin entre Borgès et Fellini. Cet homme c'est Egon Storm, réalisateur des Best films never made, envoûteur ou visionnaire, chaman ou meurtrier, qui se dédouble, s'autocite, se carapate derrière ses livres pour mieux s'exhumer et disparaît pour mieux se trouver, amateur de théâtre et de films noirs qui, tel Corto Maltese, réunit à la fin de l'envoi ses personnages restés sur la touche. A moins qu'il ne s'agisse de Pierre Cendors lui-même, auteur et archétype du Voyageur sans voyage et de L'homme caché, prestidigitateur qui s'écrit Goodnight Houdini et Adieu à ce qui vient avant de réapparaître plus loin.
« Avec Storm, vous le comprendrez bientôt à votre tour : plus une chose semble certaine, moins vous en êtes possédé de la certitude ». Ainsi, pour solitaires que paraissent ses personnages – témoin Solness, cet « autre solitaire » - tous demeurent liés, se fondent et se confondent, au point de nous faire oublier qui est qui. (« C'est moi, songea Strom. C'est moi, songea Erl. - Ni l'un ni l'autre, ajouta une voix. ») Au gré des changements de focalisation, Pierre Cendors - ou Egon Storm, qui sait ? - se glisse ainsi avec la même aisance dans la peau du jeune Erland en mode Kennedy Junior fin de siècle (« ce type, seul sur son banc, le genre à se faire dépouiller et s'en foutre, c'est moi, enfin, c'était moi cet après-midi là ») que dans celle de Straum et de Storm. Qui, acteur, scénariste réalisateur et metteur en scène, fait dire à l'un de ses personnages « Nous courons tous comme des acteurs dans un putain de film d'action sans scénario » pour mieux y remédier, à sa façon.
« Mon histoire n'est pas un roman [...] C'est une formule talismanique pour sortir du monde sans en sortir ». Magie opératoire, rituelle, combinatoire et à « géométrie aléatoire », le cinéma permet à Storm comme à Cendors tous les ralentis, accélérés, marches arrière, arrêts sur images, contre-plongées. Sans omettre pour autant l'importance du hors-champ et des souvenirs-écrans, il impose au spectateur d'adopter le « recul nécessaire » pour apprécier la profondeur de champs investis, l'éclairage et la variété des points de vue ainsi offerts. Si les synopsis des films de Storm ont la force du court métrage, l'enchaînement des chutes et des univers, le sens du dialogue et de l'image, révèlent l'étendu des talents de nouvelliste, de poète et de romancier de Pierre Cendors qui nous livre un roman que l'on aimerait voir adapté sur grand écran tant son écriture fait tour à tour et sur tous les plans la part belle à l'imagination et au vide, à l'immobilité et au mouvement.
« Mon œuvre est toute ma géographie et chaque volet de la trilogie, la cartographie d'un autre réel. » Un réel sensible mais fugace, construction immuable, multiple, poreuse et minérale, château de cartes aux escaliers d'Escher, tour lunaire d'ivoire et d'hiver, palais des vents où la dureté de la glace disparaît sous les doigts du visiteur errant, l'obligeant à revenir sur ses pas pour ramasser les cailloux laissés à son intention, à se frayer un chemin parmi les ruines, à rétablir l'équilibre de cette architecture mise à mal grâce à une « carte mentale » établie progressivement. Un roman-monde, plein, possible et mémoriel, qui rappelle évidemment Le cycle des Contrées de Jacques Abeille, son univers échoïque et labyrinthique, sa maîtrise de la langue et de ses différents registres, l'« érotisme tellurique » et la disposition des Jardins statuaires, Le voyage du fils et cette « légende noire », enfin, qui entoure l'œuvre de Maître Jacques et, à travers celle du mystérieux Egon, celle de Maître Pierre que je vous invite à découvrir aujourd'hui.
« Tant que tu peux revenir, tu n'as pas vraiment fait le voyage » déclare Roger Munier en épigraphe des Archives du vent, qui rappelle également, dans ses thèmes et questionnements, Les Chemins de retour d'Alfons Cervera. « Il m'avait fallu attendre plus de vingt ans avant de comprendre que, par réalité, on me désignait l'impasse quotidienne dans laquelle vivre et, par monde, l'endroit où cette (dés) intégration organisée avait lieu ». Et c'est peu dire qu'il faut lutter, non seulement pour revenir à ce que l'on a fui - « La réalité, la vie, le monde- la feinte trinité » - mais aussi pour quitter cet univers interlope, inépuisable et magnétique, littéraire et cinématographique où règne l'intertextualité. Alors, n'attendez plus. Entrez dans cet étrange ouvrage qui allie la magie et la science, la pensée et la vision. Venez vous initier aux mystères de l'Oracularium, du Pandoracle et de l'Holoscope, de « l'arythmétique nihiliste » et du « dorveil » en compagnie de Storm, de Solness et de la sybilline Caxandra. Embarquez pour cette Nova Terrae, monde persistant où se rejoignent la fin et le commencement, cet « autre réel » qui se nomme
L'invisible dehors
« Comme Magnus Morland, je ne viens pas en Islande pour les appâts touristiques, sa culture ou même son histoire […] Je viens pour rejoindre l’autre côté d’une vision qui m’habite depuis de longues années. » Journal de voyage et d'écriture, prélude ou spin off des Archives du vent joliment publié par les bien nommées éditions Isolato au printemps 2015, L'Invisible dehors, carnets islandais d'un voyage intérieur, raconte l'expédition menée par Pierre Cendors dans le cadre des Archives. Or, sitôt parvenu à destination, le voilà qui cesse d'écrire, oublie ce pour quoi il est venu, ressent la nécessité de se dépouiller des oripeaux de « l’affairisme amnésique » de nos sociétés avant de parvenir à consigner par le recours à la poésie et l'aphorisme cette expérience aussi personnelle que professionnelle. « Le reste viendra plus tard » déclare-t-il alors, qui mène à d'autres lectures, à la réécriture, à l'écriture, enfin, des Archives du vent.
« On habite tous, pour le moins, deux mondes ou deux réalités : le monde des choses immédiates, communicables […] et l'autre monde, le monde intérieur, insaisissable. » Espace conceptuel et poétique entre l'hors et l'en, peuplé de songes et d'instants marquants, L'invisible dehors constitue la matière brute, génétique et originelle, en fusion, qui alimente les Archives. Un voyage vécu et rêvé à la fois où, sous « l'autorité invisible » d'Egon Storm, tout est synchronicité, Pierre Cendors cherchant sans relâche cette « voie de communication avec l'univers » à travers la magie, naturelle cette fois, du « langage sauvage du dehors ». Un langage contenu dans l'infinie présence du paysage comme présage, entre « silence indicible » et « vacuité sonore ».
« Pour le romancier comme pour le poète, faisant soit œuvre d'imagination, soit œuvre de vision et, idéalement, l'un et l'autre, tout fait sens. » De L'Invisible dehors aux Archives du vent, de l'Irlande à l'Islande, coexistent ainsi une multitude de chemins, ceux de Milosz et ses Sept Solitudes, de Kenneth White, d'Artaud, de Borges ou de Georg Gudni - peintre fascinant dont l'évocation envahit progressivement tout l'espace de ce court mais dense ouvrage qui tente de saisir la matérialité propre à la géographie intérieure – qui, tous, mènent à un seul homme : Magnus Morland, obscur figurant des Archives qui « recule obscurément en lui » et « lit à rebours » les citations contenues dans ce récit. « Je progresse autant que je reviens sur mes traces » nous confie mine de rien Pierre Cendors à l'issue de son voyage, éclairant d'un même coup de projecteur le vrai visage du personnage et la construction en double hélice des Archives.
« Que vient-on chercher au bout du monde, là, où l'homme n'est pas ? Cette méditation, qui ouvre et clôt mon dernier roman, ne m'a jamais concerné aussi directement qu'aujourd'hui. Preuve, encore une fois d'une complicité “'professionnelle”' entre la fiction et la réalité. » L'invisible dehors, ces archives des Archives, auraient pu rester inédites, à l'instar de ces notes de lecture ou de ce travail préparatoire perdu dans les méandres de la rédaction, si la vie de Cendors comme la mienne ne se fondaient dans le noir de l'écriture. Dans cet autre invisible, cet autre dehors, cet « autre réel » encore, que celui où j'ai lu L'Invisible dehors, vu Paris Texas et Vertigo, pré-vu Le Septième sceau, Les Ailes du désir ou Horizon perdu, pièces communes de nos univers respectifs dont l'appel m'a conduit à condamner certains titres de la rentrée que j'avais prévu de mettre en lumière mais que vous pouvez retrouver en partie ici.
Ainsi, comme passent les heures, de tout ceci ne demeure, à quelques jours de l'automne, qu'une feuille, une seule pour une fois, consacrée au Tripode. Une seule quand il en faudrait au moins trois de plus, une par sortie de ce mois, une par mois qui nous sépare de la dernière consacrée au cycle des Contrées de Jacques Abeille que nous retrouverons très prochainement. Une forêt de feuilles en vérité, quand il s'agit de présenter ce monument à lui seul que constitue ce « grand livre du vent » que sont les Archives du même nom et, en complément, cet « autre solitaire » incarné par L'Invisible dehors qui le précède.
Sur ces bonnes paroles qui en appellent d'autres encore, je vous retrouve dès la semaine prochaine pour une chronique exceptionnelle, exécutée sans coup férir ni filet, à deux voix et à quatre mains, par Lou (toujours aux commandes de ses Feuilles volantes et désormais chroniqueuse pour Un dernier livre avant la fin du monde) et moi-même dans l'antre de L'Ogre : celle du formidable Cordelia la guerre de Marie Cosnay.
Crédits Textes et illustrations © Eric Darsan, Pierre Cendors, Le Tripode, Lars Bohman gallery
recommandé par un de mes libraires favoris (Quai des Brumes, Strasbourg)
RépondreSupprimerje n'ai que peu accroché (et pourtant c'est des éditions Tripode que j'aime bien)
ceci dit le livre est très bien fait (signé Tripode) et reste tout de même plus agréable à lire que bien des écrivaillages de la rentrée
Je n'accroche pas à ce roman que j'ai laissé de côté pour mieux le redécouvrir.
RépondreSupprimerPierre Cendors...découvert par hasard..éditions Isolato.. l'invisible dehors profondeur,intensité dans un dépouillement nécessaire au lecteur pour se délecter de ces mots rayonnant la pure vision et vibrant le silence.
RépondreSupprimerEt puis Pierre Cendors..Georg Gudni..l'écriture et la peinture se rejoignent..résonance arctique..au delà du lieu..ce voyage que tout homme devra entreprendre un jour..un vrai merci.Catherine.