vendredi 25 janvier 2013

La Révolution des casseroles, Jérôme Skalski

Après Un Fil Rouge de Sara Rosenberg, et comme annoncé précédemment, j’ai le plaisir de vous présenter La Révolution des casseroles de Jérôme Skalski, sorti en octobre 2012 aux éditions de La Contre Allée, dans la collection nommée Un Singulier Pluriel, à laquelle appartenaient déjà Cosa Nostra et Le Retour du Prince

L’auteur, journaliste et reporter, nous y explique comment, et par là même pourquoi, le pays est passé « du statut de « laboratoire » du néo-libéralisme à celui de symbole de la « déroute » du système financier international » en retraçant l’historique de la crise, de la révolution, puis de la constitution qui en résultent.  

L’Islande, « terre de glace », doit en effet moins son nom à son climat qu’à ses vastes étendues désertiques et stérile qui limitent ses ressources à la géothermie et à la pêche et la rendent dépendante de son commerce extérieur. Or l’arrivée au pouvoir des « Néo-Viking », tenant d’un capitalisme financier néo-libéral incarné par le Parti de l’Indépendance, l’entraîne dès les années 90 dans un processus de privatisation, de défiscalisation, de déréglementation qui crée et accroît de façon exponentielle la dette du pays envers la Banque Centrale de l’Union Européenne, rejointe peu de temps auparavant, et la conduit dès 2006 à une crise qu’elle ne surmonte qu’en apparence. En moins de deux ans, faillites, licenciements, chômage et perte du pouvoir d’achat se succèdent et se multiplient, transformant alors le modèle islandais en symbole de la crise.

Commence alors la « Révolution des casseroles », mouvement populaire qui dénonce à grand bruit la corruption puis la trahison des élites politiques et industrielles acquises à la cause des banquiers, provoquant une mobilisation et une répression sans précédent depuis 1949, date de l’adhésion de l’Islande à l’Otan. La tension monte progressivement au fil des coupes dans le budget de la santé, des arrestations, des interventions télévisées, des lacrymos et des braseros, conduisant à des élections anticipées, à la démission du ministre du commerce et du premier ministre ainsi qu’à la victoire de la mouvance Gauche-Vert qui avait rejoint le mouvement, et à la formation d’un gouvernement provisoire en vue d’une révision de la constitution de 1944 héritée de celle octroyée par le roi de Danemark un siècle auparavant.

Au terme d’un processus nouveau, de l’élection d’une assemblée constituante à la consultation des citoyens via les réseaux sociaux, le texte définitif de la « Proposition pour une nouvelle constitution pour la République d’Islande » est élaboré et approuvée par le Conseil Constitutionnel. Une constitution qui institue une démocratie parlementaire avec un président aux fonctions retreintes et une assemblée aux pouvoirs élargis, qui peut le destituer et être dissoute par lui. «  Une constitution d’un genre inédit » qui entérine les acquis de la Révolution et repose sur les valeurs de la société islandaises, définies pour l’occasion au cours de nombreux  débats : l’accès à la justice, à l’éducation, aux ressources naturelles, à la paix. Une constitution où seul le peuple demeure indissoluble, avec en sus un procureur spécial ainsi qu’une commission d’investigation chargés d’enquêter sur la corruption et la responsabilité des élites dans la crise.

Une constitution qui, somme toute, va à l’encontre de la tendance constatée aujourd’hui dans les autres pays, en mettant un frein à l'exploitation et à la spéculation jusqu’alors soutenues comme ailleurs par les manipulations des médias en réaffirmant les droits fondamentaux de la personne humaine. Une expérience islandaise - que la presse étrangère n’a, pour l’essentiel, guère relayée jusqu’ici que comme l’exception d’un village de pêcheur isolé confirmant la règle libérale d’un monde globalisé et qui avec le temps - et désormais grâce à Jérôme Skalski et aux éditions La Contre allée que je tiens à nouveau à remercier - nous apparaît davantage comme un modèle viable et applicable de développement à travers ce petit ouvrage intéressant, clair, factuel et instructif, ancré dans le réel et tourné vers l’avenir.  

 Rencontre avec Jérôme Skalski à la librairie L’Harmattan de Lille le 17 octobre dernier 
dans le cadre de l’opération La voie des Indés organisée par Libfly. 


Crédit photo et vidéo © Jérôme Skalski -  la Contre Allée -  Libfly

jeudi 17 janvier 2013

Un fil rouge, Sara Rosenberg

Après Cosa Nostra et Le Retour du Prince, nous retrouvons les éditions La Contre Allée avec deux nouveautés intitulées respectivement Un fil rouge et La Révolution des Casseroles, parues il y a quelques mois à présent dans chacune de leurs deux collections.
 
Un fil rouge, est le premier des quatre romans de Sara Rosenberg. Publié 1998 en Espagne, inédit en France, traduit par Belinda Corbacho, il est sorti le 4 octobre dernier dans La Sentinelle, collection qui entend porter « une attention particulière aux histoires et parcours singuliers de gens, lieux, mouvements sociaux et culturels » au sein de la Contre-Allée. 

L’auteur, « militante politique durant les années 70 », forte de son expérience, nous plonge dans ce passé sur la piste de son héroïne, Julia Bereinstein, au cœur de cette Argentine où elle a elle-même combattu et fut emprisonnée pendant plusieurs années.                 

« Puzzle narratif et labyrinthique », le récit se déroule progressivement, à la manière d’une bobine de film, au gré des témoignages. Celui de José qui évoque le travail et les groupes d’entraide et avoue combien il est difficile de « nager entre deux eaux » : celle des amis du syndicat et celle de l’argent fourni par « la pince », ce système de renseignement généralisé auquel nul n’échappe. Celui de Marcos, dit le familier, qui évoque les affaires prospères du père de Julia et les lubies de celle-ci. Celui de Trinidad qui présente le point de vue des femmes, leurs sentiments et sensations, celui des hommes et leur sens du devoir. Ou encore celui de Natalia devant la Commission des Droits de l’Homme.     

Ce procédé de la biographie orale nous laisse ainsi découvrir les différentes facettes d’un personnage, esquissant par là même le portrait complexe d’une héroïne absente, sorte de puzzle auquel la démarche du narrateur redonne corps. Entre les interstices de ces « enregistrements », émerge en effet progressivement, avant de s’imposer tout à fait, la parole, plus poétique, moins politique, plus imagée, de Miguel. Ami d’enfance de Julia, il se remémore les moments privilégiés de leur relation pour mieux commémorer le combat de celle-ci et de ses camarades au travers d’un film rassemblant les éléments recueillis.  

A travers la vie de Julia, c’est évidemment l’histoire de tout un pays, de toute une époque, dans ses contrastes et ses contradictions, qui se dessine. Julia qui, telle Antigone, mue dans une folle, mais consciente résolution, incarne un amour et une liberté dont l’absence se fait cruellement sentir. Julia dont l’existence n’est plus attestée que par ses quelques écrits - des notes laissées en marge de quelques livres aux lettres qu’elle échange avec son ami - ainsi que par ceux qui conservent son souvenir, rappelant l’importance de la mémoire, à l’instar d’Isaias, le grand-père : « Nous oublions notre histoire. Ici tout le monde croit que les choses sont ainsi par la volonté de Dieu, des rois ou de je ne sais trop qui. Si les gens sortent dans la rue et risquent leur vie, ce n’est pas pour le plaisir, c’est parce qu’ils n’en peuvent plus. Voilà ce qui est en train de se passer ».

Ainsi, parce qu’elle apparaît dans toute son humanité, Julia, plus qu’un symbole désincarné, permet d’interroger la place de l’individu dans l’histoire, dans la résistance à l’oppression, valable en tout temps et en tous lieux. Une question qui passe par l’analyse des causes, parmi lesquelles l’accaparement qui pousse à l’endettement puis au vol, encouragés par l’exemple de la publicité et de la corruption que dénonçait il y a déjà cinq cents ans le juriste et humaniste Thomas More dans son Utopie : « Que faites-vous donc ? Des voleurs, pour avoir le plaisir de les pendre. » Une question qui passe aussi par l’analyse des conséquences de l’engagement, de la fin et des moyens, ainsi formulée par l’un des membres du Weather Underground : « jusqu’où sommes-nous prêts à aller ? ». Un fil rouge qu’il s’agit en somme non de fuir comme un animal pris au piège, mais de suivre et de voir venir afin de ne pas se laisser encercler.

Je tiens une nouvelle fois à remercier La Contre Allée, et tout particulièrement Benoit, pour cette découverte, et vous donne rendez-vous très prochainement avec La Révolution des Casseroles de Jérôme Skalski, qui aborde la question de la mise en œuvre de la nouvelle constitution islandaise.

D'ici là vous pouvez retrouver Sara Rosenberg accompagnée de Belinda Corbacho le vendredi 18 janvier à 19 h dans le cadre d’une rencontre à la librairie Palimpseste (Paris 5e) ainsi que le samedi 19 janvier à 10 h 45 à l'Institut d'études ibériques et latino-américaines pour participer à la Journée "Gradiva"sur le thème les paradigmes masculin/féminin sont-ils encore utiles ? (Tout le Programme ici.)