jeudi 14 décembre 2017

Nota Bene : L'Anglais volant, Benoît Reiss

« On a fermé les yeux, cela a à peine duré, quand on les a rouverts il n’était plus là ». Et cependant quelque chose demeure, d'insaisissable. Ainsi en va-t-il de l'envol(ée) bucolique de L'Anglais volant, de Benoît Reiss, sorti le 21 septembre 2017 chez Quidam, un livre beau et surprenant, aux racines profondes et à l'humanité contagieuse.


« Depuis ce matin la parole circule librement, on pourrait la voir passer d’une bouche à l’autre,
on se met droit d’un coup, on se met en route pour raconter ce qu’on a vu... »

De ce(s) titre(s), livre(s), événement(s), personnage(s) improbable(s) vers le(s)-/au(x)-quel(s), l'on t-/r-end d'autant plus hommage après que le doute ait cédé devant la curiosité. Ainsi de cet étranger qui s'est jeté du haut de la falaise aux yeux et aux oreilles de tous, malgré les mains pour les cacher et le retenir. Ainsi du troisième roman de Benoît Reiss, qui joue des codes et de toutes les images rêvées et réelles de L'Anglais – avec un grand A et de grandes L – pour nous offrir ce personnage migrant, haut en couleur, flegmatique et spectaculaire, portant sur son dos, à la manière d'un homme orchestre, son univers magique et bariolé.

« … puis quelqu’un d’autre se redresse, prend le relais à l’autre bout de la salle ou à côté ; 
s’ensuit un tohu-bohu de voix, on raconte à plusieurs, on rappelle l’Anglais en mots, en voix ;
récits multiples, simultanés, récits assemblés par séparation. »

A son rythme, à son allure légère, à son humeur lunaire, l'Anglais de L'Anglais volant débarque et nous embarque à la rencontre des paysages de Fayrolle, de ses reliefs et de sa végétation, de ses habitants, de leurs rapports à la religion et à la morale, de leur hospitalité, de leur quotidien et de leur(s) histoire(s). En somme, et en miniature, de tout un village, qui pourrait être n'importe lequel et tous les villages. Il y a quelque chose du Farigoule Bastard de Benoît Vincent là-dedans, non dans la geste, non dans la langue évidemment, mais dans le regard sensible, aimant, porté sur les êtres et les paysages.

« On voulait tout voir parce qu'on était certain de comprendre même si ce n'était pas avec des mots, même si ce n'était pas avec des formules, chacun pour soi comprenait, 
comprenait avec son corps trempé, alourdi d'eau,
 chacun comprenait quelque chose de différent et chaque signification était la bonne. »

Plus que par l'événement miraculeux que constitue son envol, L'Anglais volant (en italique ou non) va (r)éveiller, ouvrir, marquer, réjouir, par sa seule et multiple présence, la vie, les esprits, le cœur et l'imagination de ses habitants et ravir le lecteur qui voit le récit se (re)constituer pour devenir mythe et fable, conte et chant, digne des veillées. Ingénu et ingénieux, poétique et lumineux, L'Anglais volant de Benoît Reiss est un roman vif et délicat comme un nuage de thé dans le lait. 

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