mercredi 1 octobre 2014

The LP Collection, Laurent Schlitter et Patrick Claudet

Sous titré Les trésors cachés de la musique underground et sorti le 18 septembre 2014, The LP Collection propose une sélection « représentative des styles et origines » de cinquante titres issus d'une collection originelle de six mille vinyles réunie par Laurent et Patrick avec pour fil rouge l'absence totale d'écho médiatique et le format LP (ndrl : Long Play, ou album, par opposition au Short Play et à l'Extended Play qui sont des enregistrements contenant moins de pistes, donc plus courts). Un long préambule esquisse l'identité du duo à la manière d'un groupe, à travers leurs parcours, leurs goûts et leurs influences réciproques.

L'on découvre ainsi les deux journalistes, également scénariste et écrivain, traquant les disques et leur histoire afin d'appréhender ce « courant esthétique qui s'ignore », tout en posant les raisons idéologiques et pratiques du silence qui entoure les groupes, celle de la fin et des moyens, celle du référencement.

Les chroniques qui en résultent, format propre aux revues et fanzine, sont un modèle du genre, abondent en anecdotes, analogies et jeux de mots, et s'enchaînent au gré de transitions fluides et soignées. Les groupes présentés se composent et se décomposent au gré de leurs membres (de un à cent intervenants, de tous âges, de toutes origines, de toutes professions, magasinier, expert en environnement, moine bouddhiste défroqué), de leurs formations (auteur, compositeur, interprète, guitariste, batteur, chanteur, j'en passe et des meilleures), et des genres explorés (folk, blues, ethno-rock, grunge, cold ou no-wave, électro-psyché, idm, krautrock, lo-fi, shoegaze, grime). Parmi les influences citées figurent enfin, pêle-mêle, Aaron Tobin, Aphex Twin et Harold Budd, Malher, la Monte Young, My Bloody Valentine, Mudhoney, Sonic Youth, M.I.A. et Sébastien Tellier mais aussi les Femen et les Black Panthers, les hipsters, les hippies, l'utopie ou encore Houellebecq, Perec, Proust, Bret-Easton Ellis, Dostoïevsky et Chomsky, tous réunis à la fin de l'ouvrage aux côtés de Tarentino, Cantona ou encore Clara Morgane dans un étrange index comportant plus de 350 artistes toutes catégories confondues.

Souvent poètes, souvent déclassés, leurs critiques sociales, lucides et acérées, empreintes de mauvaise foi et de second degré, sont souvent liées à un chemin particulier, alter, qui éclaire leur approche toute personnelle d'une musique politique, complexe et lettrée ou encore grotesque, absurde et vulgaire. A ce point que certains titres « mériteraient de finir à la décharge » si leurs auteurs n'avaient pas eu de bonnes raisons de les commettre avant de disparaître par suicide, crise cardiaque, guerre, censure, attentat et autres splits. Reste que, le plus souvent, la complexité a du bon dans la mesure où elle demeure l'apanage de la virtuosité. L'on découvre ainsi tout un arsenal technique au service de la musique, tout un monde fait de guitares, de violes de gambe, mais aussi et surtout d'ondes Martenot, de séquenceurs, de boîtes à rythme, de tables de mixage, de synthés organisés en couches, de noise gate, de rythme ternaire et même d'infrasons rassemblés pour créer ces « mille-feuilles synthétiques et échantillons organiques » savoureux et uniques.

Chose rare encore, à l'époque où le moindre guitariste en chambre dispose de son compte Facebook, You Tube, Soundc d ou encore Myspace, aucun des groupes présentés - de Djo Djo Lapin à Ours, en passant par Prince Arthur, Scotty Pone, Katchaturian, Wimbledread ou Gollung - n'est référencé dans les médias ou sur internet. Pour pallier à ce manque et au désir aussi unanime qu'étonnant de demeurer anonyme, The LP Company ne propose qu'une série de reprises de ces artistes pas très Net par des groupes internationalement reconnus. De la frustration à l'envie de composer soi-même la musique évoquée il n'y a qu'un pas. Un pas supplémentaire et nous voici remettant en cause l'existence même de ces groupes chroniqués par L&P « comme s'ils les avaient écoutés ». Et si cet ouvrage éminemment conceptuel qui s'appuie amplement sur l'imaginaire l'était totalement ?

C'est alors que tout s'éclaire, de l'épigraphe de Borges à l'idée de « braquer les projecteurs » ailleurs que sur le livre et de leurs auteurs. Car, tandis que les médias demeurent muet sur les groupes du LP, ils ne tarissent pas sur le concept à l'origine de ces chroniques : la photo d'un radiateur prise dans un bureau (« J’ai lancé que, si un jour je devais faire un album, la pochette serait cette image », Laurent Schlitter, Le Matin, 13 juillet 2013). Un désir, une photo, un nom de groupe, un titre, puis une chronique proposée à la manière d'un synopsis : tel est ce fameux « matériau à l'usage des musiciens » élaboré par L&P. Depuis le mythe est devenu réalité puisque plusieurs artistes ayant répondu à l'appel (et repris, c'est-à-dire créé, certains morceaux), The LP Collection a déjà donné naissance à plusieurs EP. Quand à ses auteurs, devenus acteurs à part entière de la scène musicale, ils envisagent déjà de passer des photos d'objets aux portraits de famille, tandis que Milky Koala, né de la découverte d'accessoires géants dans les rues de Paris, d'une capture du cri de l'animal et d'une traduction Google inénarrable envisage déjà, après le visionnage d'un reportage, de se renommer Ornithorynque...
 

P C B L'ornithorynque par The Marcel Turtle Group, crédit vidéo © Pascal Biaudet

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire