Après une première partie commémorant les cinq années de ce
blog et consacrée aux Derniers mots de Falcone et Borsellino édité
aux éditions de La Contre-Allée ainsi qu'au Voyage Céleste
Extatique de Clément Vuillier publié aux éditions 2024, j'ai le
plaisir aujourd'hui de continuer sur ma lancée e-volutive de ce mois
de mai.
Dans mon panier de pique-nique non plus des livres comme la
dernière fois, mais de la musique avec les imposantes Late Statues
de Raoul Sinier et l'enivrant Skullsplitter d'Eric Chenaux.
Late Statues, Raoul Sinier
Après avoir signé Raoul Sinier
Loves you, son premier album, sous le nom de RA, s'être imposé avec
Wxfdswxc2, Brain Kitchen et Tremens Industry, édité avec Sylvie Frétet un roman
graphique très soigné intitulé Les Aveugles, avoir donné de la voix
dans Guilty Cloacks puis dans son free release de reprises dénommé
Covers, Raoul Sinier sortait il y a deux ans un album intitulé Welcome to my Orphanage dont
je ne vous avais pas encore parlé (oui, des fois je garde des trucs pour
moi plus ou moins longtemps, mais je finis toujours par partager
quand ça vaut le coup).
Un opus qui, en quatre mots et onze titres
réunissait ce que Sinier savait faire de mieux et qui demeure une
pierre angulaire dans le jardin de l'artiste avec son entêté et
entêtant titre éponyme, son excellent et nextschool hip-hop Analog
sh*t ou l'atmosphérique Where you are.
Sorti le 16 mars dernier, c'est avec un plaisir renouvelé que
l'on découvre Late Statues, à commencer par Stones and rocks et son
introduction breakcore dont se dégage petit à petit, comme d'une
gangue, la sombre mélodie, les basses impérieuses et cette voix
désormais indispensable qui scande sa litanie, sculpte à son tour
le merveilleux Hello my world qui possède déjà tous les attributs
d'un classique, se rappelle à nous avec Good Times, flirte avec le
rock et la cold-wave avec le ténébreux Camouflage et le déjà
familier Vestige et son piano solo.
Comme pour nous rappeler que les
années 80 sont loin, qu'on a fait des progrès depuis, que l'humain
demeure au centre de la vie, Raoul Sinier revient, avec son cœur,
avec ses mains, avec sa voix au service de la mélodie. She has a
gun, nous dit Raoul, elle sait s'en servir, et ce n'est pas le
somptueux et religieux New Horn qui va nous contredire.
Quand d'autres tenants de la scène DIY, si ce n'est moins
sincères du moins plus commerciaux, semblent s'être enferrés dans
des préoccupations et collaborations plus people que musicales
(ainsi Grimes qui, après deux ans de silence, revient avec une Lana
del Rey lâchée par un Woodkid qui, deux ans après également, remet ça
avec Lykke Li), Raoul Sinier, plus radical et mélodique que jamais, brise tous les carcans par son éclectisme électrisant en nous offrant un grandiose voyage qui trouve son apothéose avec Journey
with the Vixen Queen, Wanderers, et Wrecks and dust où la world
music rejoint un hip-hop old school, le tout servi par des claviers
qui jamais se rendent.
Sombre et lumineux, sûr et enthousiasmant, emporté, envolé,
planant, Late statues est l'héritier fluide et cohérent, mutant
plutôt qu'hybride, d'artistes aussi divers que Terry Riley,
Autechre, Aphex Twin, Covenant, Kraftwerk, Radiohead, Tangerine
Dream, Pink Floyd, Bach et Lacrimosa, mais aussi et surtout un
témoignage sûr du talent confirmé de Raoul Sinier, et certainement
pas le dernier. Un bel album plus que jamais certifié Ebrs («
Everything by Raoul Sinier »). A écouter les yeux fermés.
Raoul Sinier, Journey with the Vixen Queen
Skullsplitter, Eric Chenaux
Quelques mots, enfin, sur le très excellent Skullsplitter d'Eric
Chenaux, mon coup de cœur du moment, découvert à l'occasion du
festival Roulements de Tambours où nous étions présents pour
assister à la passionnante conférence d'Amaury Cornut, Moondog à travers le XXe siècle. Eric Chenaux, qui parvient comme personne
à mêler harmonie et dissonances et me donne fichtrement envie de
prolonger encore ce que j'ai dit à l'occasion des Musiques savantes
de Guillaume Kosmicki, livre avec son Skullsplitter un album qui
passe, à raison, pour être le meilleur.
Sorti le 17 février 2015 chez Constellation Records,
Skullsplitter se révèle d'entrée un album hors norme, non moins
folk — au sens le plus noble du terme — ni rock que les
précédents que je découvre à peine, mais définitivement plus
avant-gardiste, plus écrit, plus complexe, plus marqué par une
technique qui devrait définir un style désormais reconnaissable
entre tous.
Introspectif, lancinant, psychédélique, sensuel et réjouissant,
Skullsplitter dont le titre et les guitares saturées semblaient nous
promettre une belle gueule de bois nous entraîne sans répit mais
sans effort non plus dans une longue ballade folk et savante aux
accents tour à tour hawaïens, médiévaux et solennels, où la
douceur de vivre rejoint un jazz mâtiné d'une soul portée par un
chant successivement suave et nostalgique.
Have I lost my eyes ? Sans
doute pas, ni les oreilles, tant les images se bousculent à l'écoute
de The Pouget, de Poor Time, du Vieux Favori, et de l'enivrant et très à propos Spring
Has Been a Long Time Coming dont la beauté nous fait perdre pied.
Un disque magnifique, beau et cohérent, reposant et stimulant,
qu'on peut écouter en boucle, intégralement, sans jamais se lasser,
chose suffisamment rare pour ne pas passer à côté et pour vous
convier à la découverte de cet étonnant et pur hipster des bois,
guitariste, songwriter et chanteur de talent qui sort des sentiers
battus et arpente en ce moment même les routes à l'occasion d'une
série de concerts au Royaume-Uni, puis de nouveau en France le 5
juillet à l'occasion des Siestes Electroniques au Musée du Quai
Branly.
Eric Chenaux, Spring Has Been a Long Time Coming
En mai fay ce qu'il te play, again
Fay ce que vouldras, c'est à dire ce qu'il te play, again, à
l'occasion de cette seconde et dernière partie de cet article rétrospectif consacré pour la première fois à la musique et qui témoigne tout à la fois l'évolution au fil des années, dans le fond
comme dans la forme, du blog, des thèmes abordés ainsi que des
rubriques et formats adoptés.
Un article qui, à l'instar de Ma rentrée littéraire au lance-pierres et au lance-grenade 1 puis 2 et de L'hémistiche du 11 novembre, prend place au sein de
ces rétrospectives qui, depuis la reprise de ce blog en septembre
dernier, me permettent de temps à autre entre deux longs articles de fonds et d'actualité, de vous offrir des
chroniques à la fois plus brèves et plus nombreuses afin de partager avec vous mes dernières découvertes
et redécouvertes.
Un article qui m'a également permis de prendre la mesure du
chemin parcouru depuis le tout début, chemin que je vous invite à
refaire à votre tour, au hasard ou par le biais des différentes
entrées proposées dans la colonne à gauche de cet article :
Critiques et chroniques (Livres, Bandes Dessinées, Musique,
Interviews, Films et séries), Thèmes (Littérature, réflexion
politique), Editeurs ainsi que par le biais du nuage et des
archives.
Un article, enfin, qui commémore ce joli mois de mai qui fait le
printemps, le luron, et surtout le pont, tant et si bien que c'est à
peine si nous nous croisons, ici et sur les réseaux au cours de ces
semaines réduites que je consacre à l'écriture, me remettant à
peine de mon week-end consacré aux travaux du jardin ou de la maison
depuis notre retour à la terre - que Lou décrit, entre deux livres, si poétiquement
sur son blog et notamment dans son magnifique article Le jardin, le temps, l'espace- quand ceux d'entre-vous qui travaillent hors de chez
eux voguent déjà vers d'autres cieux.
Reste que vous êtes tout de même de plus en plus nombreux chaque
jour à suivre ce blog, ce pourquoi, outre le fait de vous faire
découvrir ces deux excellents artistes que sont Raoul Sinier et Eric
Chenaux, et accessoirement de vous raconter (juste un peu) ma vie, je tiens
par le biais de cet article à remercier tous ceux qui alimentent ces
rubriques ainsi que tous ceux qui les suivent.
A tous, à nouveau, un grand merci, un joli mois de mai et à
bientôt, puisque nous reprenons le fil (désormais bimensuel) et
format (long) habituels de nos chroniques dès le premier juin ainsi
que nos deux (très belles) séries fleuves dédiées respectivement
au Mot et le Reste et au Tripode avec les très attendus Barbares de
de Jacques Abeille et Musiques savantes Tome 2 de Guillaume Kosmicki.