Liquide c'est, en plus de mots qu'il ne faut pour le dire, le parcours d’(e deux) êtres, brindilles portées par le courant et dont les trajectoires se rejoignent puis s'écartent sans que l'on puisse vraiment déter-/incri-miner les éléments qui entrent en jeu. Sorti le 8 avril 2009, il marque l'entrée chez Quidam de Philippe Annocque et de s/c-es « livres qui lui ressemblent sans pour autant se ressembler entre eux : disparates et convergents, nés de la question de l’identité. »
« Il semblerait facile de définir à l’avance la trajectoire de chacune, parallèle forcément à celle de la précédente, de la prochaine. »
Introspection, tirs d’elle devenus brins d’il[·](s). Tentative de description d'un non-lieu pharisien, logorrhée interrompue seulement par les incessantes digressions qui le composent, quand ce n'est pas par le lecteur, la lectrice, même, avec. Une ponctuation qui se taille dans la veine dilatée du flux de (mauvaise) conscience, des phrases qui commencent sans point en retrait, s'intercalent pour composer une manière de texte à trous ; un champ lexical – Liquide – et des métaphores enfilées comme des perles de rosée ; une structure narrative qui s'émaille, carrelée, complexe ; une « mécanique des fluides » implacable, factuelle et fractale plus que spirale.
« il n’en est rien pour certaines en tout cas de ces brindilles qui sans raison apparente, sans qu’aucun obstacle puisse être identifié s’arrêtent soudain en tournant lentement sur elles-mêmes »
Roman de la perte, de l'incompréhension, de la mélancolie, dont on ne retient rien – sinon de la sensation, du procédé qui nous subm-/im-merge, fait sentir au lieu de dire – Liquide apparaît et disparaît au large comme il vient à l'esprit, livre (dé)livré à la dérive. Ici pas de bouée à laquelle se raccrocher, de flot au gré duquel se laisser aller. Mais de la profusion qui noie le poison, di-luée/-ffusé en goutte-à-goutte, que l’on retrouve à foison, dans le corps(-)mort porté par le courant des pensées. Trop lent/dense/distant pour être absorbé dans les sangs/temps, mais trop rapide pour être retenu avec ses évocations noyées, puis évacuées.
« Les gouttes sur la vitre embuée ruisselaient et jamais leur trajet n’était longtemps rectiligne : elles s’arrêtaient, stoppées par un obstacle invisible qui n’était rien de plus que la trace déjà séchée d’une plus ancienne. »
Jetées, trop-pleins, syphon – rond obscur de l'évacuation. Tempête sous un crâne, lieu de lieux trop communs ou trop contemporains (travail, famille, Papa, Maman, l'UCPA, le PVC, les W.C. et tout le fatras) jusqu'au trivial, jusqu’aux. Excuses, faiblesses de personnages caractérisés par les jugements du narrateur ; analyse sociologique post-moderne, trop intime et trop détachée pour être nette, – ironie, amers, reproches et culpabilité, dernières balises avant mutation – qui oscille entre désintérêt et aigreur : loin du festin nu de Pas Liev, Liquide est un cru(el), désabusé, désespér-é/-ant, mais sincère constat d'échec, d'un. Dernier inventaire avant liquidation d’une. Histoire d’une histoire d’une époque désormais révolue.
« Là-dessus encore le temps a passé, et sans doute imperceptiblement les couleurs aussi ont passé, et à l'issue d'un réveil d'autant plus brutal qu'inconsciemment retardé l'aventure ne fut plus que ce mot péjoratif et mesquin employé par ceux qui en ont passé l'âge : une aventure, d'un coup dépréciée par l'emploi obligé de l'article indéfini. »
Avec cette attention à la forme, – au procédé, avec cette écriture quasi-oulipienne de la contrainte et du jeu sur les mots et sur les marges de la réalité qui le caractérisent et que j’évoquais à l’occasion d’(un article rétrospectif) Elise et Lise – Liquide fait partie de ces quelques textes hyperréalistes de l’œuvre de Philippe Annocque. Où les faits et l'effet se confondent pour mieux confondre celle ou celui qui s'y li-e/-t. Dont l’objet, sujet qui s’est fondu à force de se couler dans le moule, ne redevient sujet qu’au moment où il se fend du récit de sa vie, où son vécu sourd, s’écoule malgré lui sans faire davantage de vague, sans parvenir ici ni à reprendre son souffle ni à recouvrer ses forces dans la rassurante et rassérénante respiration de la fiction.
Traité juste et (in)sensible de l'(in)existence en milieu post-moderne, Liquide est le roman d'une société liquide (selon le concept de Zygmunt Bauman) où le poison et le remède ne font qu'un, où la vie se cristallise, l'identité se fond, la liberté et la sécurité se co-fondent, l'amour se consomme et consume, où l'individu, livré à et prisonnier de lui-même, est emporté et liquidé par le flot de l'impermanence.
Traité juste et (in)sensible de l'(in)existence en milieu post-moderne, Liquide est le roman d'une société liquide (selon le concept de Zygmunt Bauman) où le poison et le remède ne font qu'un, où la vie se cristallise, l'identité se fond, la liberté et la sécurité se co-fondent, l'amour se consomme et consume, où l'individu, livré à et prisonnier de lui-même, est emporté et liquidé par le flot de l'impermanence.
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