Roberto Scarpinato
est Le dernier des juges toujours en vie du pool anti-mafia. Dans un ouvrage éponyme paru en France l’an
passé, il a accordé à Anna Rizzello un entretien qui fait écho à Cosa Nostra, celui de Giovanni Falcone que nous avons vu précédemment, et avec lequel il a travaillé.
Dans « Le Retour du Prince », également publié par La Contre allée, conjointement à Cosa Nostra, il étend son analyse aux coulisses du pouvoir italien qui participe au déclin du pays et du même coup à la normalisation et à l’extension de la criminalité.
Dans « Le Retour du Prince », également publié par La Contre allée, conjointement à Cosa Nostra, il étend son analyse aux coulisses du pouvoir italien qui participe au déclin du pays et du même coup à la normalisation et à l’extension de la criminalité.
Après
avoir évoqué la mort du juge, trop dangereux et trop isolé pour être épargné,
et ainsi affirmé la nécessité de penser le passé comme le présent dans un pays où la fonction
du journaliste est de couvrir c'est-à-dire de recouvrir l’évènement et dont
l’avenir n’appartient qu’au Prince, Roberto Scarpinato et Saverio Lodato se
livrent tous deux à un exercice dialectique pour déterminer la nature de celui-ci.
Le juge commence ainsi par exposer combien le pouvoir du Prince repose
sur un mensonge d’Etat, celui d’une oligarchie cooptée, soutenue par la
propagande des médias et intellectuels, justifiée par l’absence d’alternatives, maintenue par l’aveuglement national au nom d’un « réalisme politique » qui obligerait à composer avec une
corruption prétendument indissociable du pouvoir. Proposant de revenir à la « virginité culturelle de la
mafia », il rappelle combien ses principes restent inchangés
depuis Mazarin, de Maistre, ou Machiavel dont Le Prince, « considéré
de tout temps par les hommes de pouvoir italien comme une sorte de Bible » témoigne de la normalité du recours à la ruse et à la force en Italie mais aussi du caractère
obscène c'est-à-dire « hors
scène » d’un pouvoir représentatif qui est, par définition, toujours
en représentation.
Ainsi
la criminalité ne serait-elle pas « une
compilation de dérives individuelle » mais un révélateur « du comportement réel de l’Etat en
démocratie ». L’exemple est frappant en Italie, où la
féodalité, la confusion entre intérêt privé et public, la culture de la masse,
de l’obéissance et du résultat apparaissent non comme la marge mais comme la norme. Et, si comme
Falcone il constate et déplore l’extension des méthodes mafieuses à toute la société
civile au détriment de la responsabilité et de la liberté individuelle, il lui faut reconnaître que ces dernières ne furent jamais que le fait d'une élite depuis toujours minoritaire : « Le Prince a repris
les rênes de l’histoire et il tient une forme éblouissante ».
L’influence primordiale de celui-ci sur l’Etat, la société
et l’économie, lui permet ainsi d'élucider le rapport entre la démocratisation, la mondialisation, et l'extension des méthodes et de la culture mafieuses mis en lumière par Falcone, en établissant la compromission et la corruption comme la condition même d'appartenance à un système où l'honnêteté d’un seul membre peut compromettre la malhonnêteté de tous. Il établit également trois indices de corruption : la tolérance à l’égard de celle-ci, la promotion des corrompus et le discrédit de ceux qui s’y opposent. Et démontre comment l’argent gaspillé dans le tribut payé à ce gouvernement de tribus empêche
également d’investir dans des politiques systémiques d’innovation seules à même
de proposer de nouveaux modèles et substitue la culture de l’obéissance à celle du mérite.
Voici comment se dessine l’évolution des rapports entre « le
prince et l’éternelle mafia » dont l’affrontement prétendu n’est là
encore qu’une mise en scène dont le hors-scène n’est apparu qu’après les
massacres des juges anti-mafia que la
désinformation n’avait pas suffit à mettre hors jeu. Le vrai pouvoir demeure, « affaire de famille de la classe
dirigeante », changeant dans la forme mais jamais dans le fond,
quelque soit le régime en place, au gré des coups d’Etat qu’il subit en son
sein et tente d’imposer à celui-ci. Si bien que, face à ce Prince polymorphe et tout puissant, convenant plus encore que le premier du besoin de mafia, le dernier des juges en vient à nier un quelconque effet à la répression tandis que Saverio Lodato se contente de conclure « Bonne chance Italie » quand Machiavel en son temps exhortait encore son pays au réveil.
En
guise d’entretien c’est donc en réalité une analyse totale, profonde et originale, auxquels se livrent progressivement le juge et le journaliste dans ce Retour du Prince qui prolonge et complète les analyses de Falcone dans Cosa Nostra en approfondissant certains aspects, comme la distinction entre une frange populaire et militaire qui paie généralement les frais de la bourgeoisie mafieuse, ou le rapprochement non seulement symbolique
mais réel entre la mafia et la franc-maçonnerie définie ici comme secrète et
déviée, mais aussi les services du même nom, en tant que bras armé du prince.
Un essai courageux et lucide, désabusé mais stimulant, étayé par des démonstrations et exemples nombreux et précis et pour lequel je tiens à remercier une nouvelle fois Lucie Eple et Libfly ainsi que La Contre allée, et que je ne peux que vous encourager vivement à vous procurer, tant les arguments énoncés ici ne sont que la partie émergée de ce monument d'intelligence et de clarté non seulement sur la mafia mais sur le pouvoir et la société que forment à eux deux Cosa Nostra et Le Retour du Prince.
Je vous invite à prolonger cet article sur Libfly par l'interview exclusive d'Anna Rizzello, et sur le site de la Contre Allée par le débat "Pouvoir et corruption" avec notamment le juge Scarpinato au Salon du livre d'expression populaire d'Arras.
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