Dé-/En-visager le cours de
l'h-/H-istoire, d'un homme et de l'humanité comme moyen, moyeux, frein. Et
l'horizon comme lui-même, c'est à (vrai) dire : loin. Et, par-delà la
répétition des mêmes mo[r]t(if)s et réci-t/-fs (comme un pont, une bouteille à
la mer, c'est selon), tu lances parfois un cri. Et seuls les chiens répondent à ta voix. De ces/cette voix dont
l'origine ré/ai-sonne tout au long de ce court, mais dense et remarquable livre, septième opus
de Tarik Noui (dont trois dans la collection Laureli de Laure Limongi chez Léo
Scheer, un autre chez Inculte, et de nombreuses productions, lectures et
représentations) paru le 04 mai 2018 dans la collection chaos des éditions
sun/sun.
« Le paysage est immense
et il semble une fête vorace
pour les êtres fragiles
comme toi »
et il semble une fête vorace
pour les êtres fragiles
comme toi »
Et seuls les chiens répondent à ta voix. Comme une adresse, une
injonction, une précaution. Venue de la nuit des temps à la lumière/mise au
point du jour. Avant/après us(et )age(s) du monde. Un instant avant de
(re)venir sur scène/terre. Rappel, vaccin, pendant prophylactique, cor(r-)o/é-l[l]aire.
Le théâtre et la peste, au mieux le choléra. Un prologue et du chœur. La
tragédie qui s'annonce, à tu et à toi. Avec cette voix dont tu es privé en
propre, dont tu (ab)uses salement déjà, tu le sens. Toi qui n'as pas de nom,
attends de n'en être plus qu'un – innomm-é/able –, écrit en l'être de sang. Toi
qui ne comprends pas, [dés](em)paré, sans défense – à peine des mâchoires, au
mieux un cri (Le
dernier
cri,
à tout le moins) apeuré, soumis, comme un. Enfant/animal/chien : ce que tu
es/naît/pa(rais), autre que toi (Il
paraît).
Du fond de ces âges (Pierre, f(i)er,
bronze) que Ta voix exhale, extirpe
de la gangue sédimentaire, un premier cri, donc(, )malentendu. Prim-al/-aire, –
« Et tu convoques des démons de mousson et de tonnerre Personne ne vient
lorsqu'il faut tenir son corps dans la terreur de l'ombre. » – vain. Nul
venue/témoin/prophète ni sauveur (« Tu n'as que l'intelligence de la chair
faite de cendres et de sacrifices maladroits faits à des dieux de bois de
pierres et de plumes »). Des échos – « il n'y a que des échos » – passés déjà,
qui arrivent jusqu'à toi, répètent la même litanie (« Et seuls les chiens
répondent à ta voix »). Difficile, impossible a priori, de sortir de ce
silence/constat que l'on a taillé comme – un croque-mitaine/- mort – sur mesure
pour toi.
« Tu voudrais des mots puissants,
mais rien ne vient »
mais rien ne vient »
Se dessine toutefois quelque
chose de. Comme un ordre venu d'en haut. Qui t'attire, te fait (non grandir,
mais) vieillir. Draine tes forces sans les tarir jamais. Tu es jeune (, )encore
(ce n'est pas faute d'attente(s)) perdu(es). Les âges de l'humanité, et de
l'individu que tu es, s'imbriquent et se succèdent sans révéler aucun trajet.
Soudain, un saut (« Tu as conquis le monde avec ta voix »). Une manière de dire
(« dans les sursauts du langage dans la brutalité du verbe roi ») si ce n'est
d'être. Elevé comme d'autres avant toi, avec autorité, mâle alpha,
homme-méga[phone] (« Ce sont tes paroles qui s'échangent maintenant sur les
places boursières des grandes capitales. ») qui ne provoque plus rien ni
personne (« Ta voix n'est qu'un leurre »), pas même toi.
« Tu as cinquante ans et pour le monde c'est le temps des grandes révolutions ». Mais toi. Tu te durcis, fais
pierre, fais mal, mens, modèle (« Cette foule que tu hantes avec tes mots Une
foule grimaçante et brune qui lève la main droite en criant ton nom »). Sang. Et
meute. Reductio ad hominem ad Hitlerum ad
macronem ad nihilo (« Ta voix dévide ses bobines de nerfs ses barbelés de
crin noir Ta voix claustrée entre le point et la virgule cisaillée Ta voix a
fait plus de morts que la plus sophistiquée des armes »). Et pourtant Seuls les chiens répondent à ta voix. Après
la guerre, l'apprêt. Apaiser au mieux, cautériser au pire, les plaies (que tu
as creusé) avec (les armes du faire que tu as forgé) la pharmacopée que tu
vends. Représentant du pleutre, du plâtre, de l'onguent. Pompier incendiaire
éteint, consumé, impuissant. Corps creux, voix excavée qui résonne dans le
vide. De tout sang, de tout fluide, impavide. Mourant sans cesse sans mourir ni
cesser de vivre.
« maintenant ta voix est
une langue ancienne
muscle stigmatisés à ta mâchoire
qui dit ton troc avec les morts »
une langue ancienne
muscle stigmatisés à ta mâchoire
qui dit ton troc avec les morts »
Memento mori ( + « Souviens-toi
et n'oublie pas » + ) et manifeste puissant sur le pouvoir opératoire des mots
et de la voix, Et seuls les chiens
répondent à ta voix de Tarik Noui est un texte remarquable, mémorable, accessible et inestimable. Qui évoque (le/la) Compagnie de Beckett, Un
homme qui dort de Perec, ou encore Notre
voix de Noémia de Sousa traduit et édité dans la collection corp/us.
Une voix dont la texture sensible – organique, minéral, onirique – sourde du
texte et grave le corps qui le porte, avec juste l'appeau (con-scis/-çus,
inscrit) sur les os pour convoquer, pour le meilleur et pour le pire, la
parole/le peuple qui manque. Malgré l(’absence d)e choix et ses raisons (sans cœur
ni tête le plus souvent), la lâcheté et les compromissions, la tentation d'en
finir, d'emmener le monde avec soi ou de le quitter seul, pour de bon (« Maintenant et enfin tu meurs et tu es mort (...) On parlera de toi puis on t'oubliera » ) . Et, par ce constat, l'appeler à s’élever sans (se) mentir, ou à se taire.
Eloge d'une parole et d'une pensée
justes pour dire l'absurdité et la terreur d'un monde régit par le pathos de l'é-/è-thos – de l'habitude (devenue morale, de la pensée devenue jugement, de l’ignorance et
de la croyance devenues haine de soi et des autres, de la distance qui condamnent) et de l'être (tyran public ou domestique,
ordinaire en soi) qui à force d'exclure
toute humanité s'en exclut également, Et
seuls les chiens répondent à ta voix de Tarik Noui est un texte invoc-/incant-/impréc-atoire.
Qui se prête à l'oral et à la réflexion, donne à entendre, frappe par son rythme
imparable. Contre l'actuel temps qui court et
concourt – peau de chagrin et de tambour – à la perte de tous ceux qui, dans cet E-/é-tat de guerre
de tous contre tous (Bellum omnium contra omnes) qui n’est rien moins que naturel, croient pouvoir (s')en tirer toujours (d)avantage.
« Et partout
encore
on fait et défait des gouvernements
avec des paroles d'un siècle ancien
(...)
Le monde ancien comme tout ce qui est ancien
doit disparaître
Gémir encore une fois
Et disparaître
Oui »
encore
on fait et défait des gouvernements
avec des paroles d'un siècle ancien
(...)
Le monde ancien comme tout ce qui est ancien
doit disparaître
Gémir encore une fois
Et disparaître
Oui »
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