Faim, Jaune, Le Surveillant, Sibérie, Tout brûle, La Tigresse, Youkali, Grand feu : avec ses huit variations sur le thème de la fin qui constituent une suite en forme de commencement, Brûlées, premier roman d'Ariadna Castellarnau, traduit de l'espagnol par Guillaume Contré et sorti chez Les éditions de l'Ogre le 18 avril 2018, surprend, derrière ses retranchements, par l'aplomb de son univers et de sa structure.
Bûchers des vanités, autodafés, immolations, dénutrition. L'humanité, gagnée par un mal inconnu propagé par la terre même, n'a pas attendu pour décider de la fin de sa civilisation et de l'extinction de son espèce. La faim, l'attente, le pillage, la violence, la peur, le froid, l'oubli, l'indifférence, la survie, la résilience ou la résignation régissent désormais toutes les relations. Les possessions ne possèdent plus leurs possesseurs, sinon d'une tout autre façon. Les choses, consumées pour la plupart, et avec elles les souvenirs qui leur étaient liés, ont retrouvé leur valeur d'usage. La nourriture vaut tout l'or du monde, qui n'a plus cours. Restent, à la discrétion de chacun, quelques équipements, vêtements, livres.
L'humanité n'est pas libérée pour autant, bien au contraire, et se laisse (aller à) tuer par le feu, mourir de faim, réduire à ses besoins naturels et, parfois, chercher un peu de chaleur humaine — comme pour se prouver qu'elle existe encore. Comme souvent dans les livres, les personnages qui prennent la parole ici sont des privilégiés, attachés et attachants malgré les/au regard des maux et dangers auxquels ils sont confrontés — « survivants » qui ont su s'adapter (« Rita a appris à se nourrir de la faim. ») à ce pays perdu. Où l'errance ou l'attachement aux lieux (no way), aux liens (amicaux, familiaux, notamment mère-fille), au temps (entre passé et présent, no future), ne sont jamais anodins.
Au fil des chapitres, Ariadna Castellarnau opère un long, mais sûr glissement de la nouvelle (l'arrivée dans un monde préexistant avec ses règles établies qui nous échappent) au roman (tracé d'une mythologie, d'une généalogie, des actions et personnages) en passant par le conte (Perrault et Grimm) et le fantastique pour élaborer un livre dur et beau, monolithique. Un roman à la langue mûre, aux images et sensations maîtrisées, aux effets de/à la structure plus virtuose/s et complexe/s qu'il n'y paraît, qui entraîne, étonne, surprend par ses points de jonction pour mieux s'acheminer vers la geste, la quête, l'épopée. Nous atteint par son rythme a(u)to(m)nal quand on croît qu'il se laisse lire.
Un roman contagieux, qui sillonne un micro-univers de crise climatique et migratoire qui s'étend et se reproduit, monde persistant dont les frontières se mêlent ostensiblement à celles des univers de Quentin Leclerc (Saccage et La ville fond, L'Ogre 2016, 2017), et d'Antoine Volodine (qu'ils ont en commun). Côtoient le réalisme magique et anthropologique des Machines à désir infernales du docteur Hoffman d'Angela Carter (L'Ogre, 2016) avec qui l'autrice partage et ce rapport ambigu au féminisme (entre empowerment et rapport enfantin à la figure de l'homme). Se rapproche de l'univers fictionnel des fables sociales et écologiques de Night Shyamalan (Le Village, Phénomènes).
« Ne pas arrêter de naître, jour après jour, tandis que devant mes yeux se dessinaient lentement les contours du pays que j'habitais. »
Sorti sous le titre original Quema chez Gog y Magog en 2015, Brûlées a reçu en 2016 le prix Las Américas de narrativas latinoamericanas. Il bénéficie de l'excellente traduction française de Guillaume Contrée qui a déjà œuvré à La Trilogie Sebastián Dun de Ricardo Colautti (L'Ogre, 18 mai 2017) et à l'incontournables Merci (Vies Parallèles, 24 août 2015) de Pablo Katchadjian. Avec lui, Ariadna Castellarnau vient s'ajouter aux quelques, trop rares encore, autrices et primoromancières que l'on espère voir proliférer au sein du catalogue de la maison. Et inaugure la nouvelle et belle mouture des ouvrages de L'Ogre qui passent à une fabrication plus soignée encore — papier créa, façonnage cousu et impressions Pantone®.
Pour aller plus loin : Les excellents articles d'Hugues Robert pour la librairie Charybde et de Lucien Raphmaj.
« J'appris beaucoup de choses que j'oubliai ensuite. Même si au fond il reste toujours quelque chose. Une mince structure de connaissances qui nous soulèvent quelques centimètres au-dessus de la barbarie, qui nous protègent, qui nous cloîtrent à une courte distance de l’horreur. »
Bûchers des vanités, autodafés, immolations, dénutrition. L'humanité, gagnée par un mal inconnu propagé par la terre même, n'a pas attendu pour décider de la fin de sa civilisation et de l'extinction de son espèce. La faim, l'attente, le pillage, la violence, la peur, le froid, l'oubli, l'indifférence, la survie, la résilience ou la résignation régissent désormais toutes les relations. Les possessions ne possèdent plus leurs possesseurs, sinon d'une tout autre façon. Les choses, consumées pour la plupart, et avec elles les souvenirs qui leur étaient liés, ont retrouvé leur valeur d'usage. La nourriture vaut tout l'or du monde, qui n'a plus cours. Restent, à la discrétion de chacun, quelques équipements, vêtements, livres.
L'humanité n'est pas libérée pour autant, bien au contraire, et se laisse (aller à) tuer par le feu, mourir de faim, réduire à ses besoins naturels et, parfois, chercher un peu de chaleur humaine — comme pour se prouver qu'elle existe encore. Comme souvent dans les livres, les personnages qui prennent la parole ici sont des privilégiés, attachés et attachants malgré les/au regard des maux et dangers auxquels ils sont confrontés — « survivants » qui ont su s'adapter (« Rita a appris à se nourrir de la faim. ») à ce pays perdu. Où l'errance ou l'attachement aux lieux (no way), aux liens (amicaux, familiaux, notamment mère-fille), au temps (entre passé et présent, no future), ne sont jamais anodins.
« Et à chaque occasion, ils avaient rempli de cartons, car ils n'osaient jamais rien jeter. Celle qui avait vécu loin se rendait compte que, pendant toutes ces années, ils n'avaient pas vécu ; ils n'avaient fait qu'accumuler les souvenirs. »
Au fil des chapitres, Ariadna Castellarnau opère un long, mais sûr glissement de la nouvelle (l'arrivée dans un monde préexistant avec ses règles établies qui nous échappent) au roman (tracé d'une mythologie, d'une généalogie, des actions et personnages) en passant par le conte (Perrault et Grimm) et le fantastique pour élaborer un livre dur et beau, monolithique. Un roman à la langue mûre, aux images et sensations maîtrisées, aux effets de/à la structure plus virtuose/s et complexe/s qu'il n'y paraît, qui entraîne, étonne, surprend par ses points de jonction pour mieux s'acheminer vers la geste, la quête, l'épopée. Nous atteint par son rythme a(u)to(m)nal quand on croît qu'il se laisse lire.
Un roman contagieux, qui sillonne un micro-univers de crise climatique et migratoire qui s'étend et se reproduit, monde persistant dont les frontières se mêlent ostensiblement à celles des univers de Quentin Leclerc (Saccage et La ville fond, L'Ogre 2016, 2017), et d'Antoine Volodine (qu'ils ont en commun). Côtoient le réalisme magique et anthropologique des Machines à désir infernales du docteur Hoffman d'Angela Carter (L'Ogre, 2016) avec qui l'autrice partage et ce rapport ambigu au féminisme (entre empowerment et rapport enfantin à la figure de l'homme). Se rapproche de l'univers fictionnel des fables sociales et écologiques de Night Shyamalan (Le Village, Phénomènes).
« Ne pas arrêter de naître, jour après jour, tandis que devant mes yeux se dessinaient lentement les contours du pays que j'habitais. »
Sorti sous le titre original Quema chez Gog y Magog en 2015, Brûlées a reçu en 2016 le prix Las Américas de narrativas latinoamericanas. Il bénéficie de l'excellente traduction française de Guillaume Contrée qui a déjà œuvré à La Trilogie Sebastián Dun de Ricardo Colautti (L'Ogre, 18 mai 2017) et à l'incontournables Merci (Vies Parallèles, 24 août 2015) de Pablo Katchadjian. Avec lui, Ariadna Castellarnau vient s'ajouter aux quelques, trop rares encore, autrices et primoromancières que l'on espère voir proliférer au sein du catalogue de la maison. Et inaugure la nouvelle et belle mouture des ouvrages de L'Ogre qui passent à une fabrication plus soignée encore — papier créa, façonnage cousu et impressions Pantone®.
Pour aller plus loin : Les excellents articles d'Hugues Robert pour la librairie Charybde et de Lucien Raphmaj.
Crédit texte et photo : (CC) Eric Darsan
Extraits et couverture, Brûlées (CC) Ariadna Castellarnau, L'Ogre
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