Après Cosa Nostra et Le Retour du Prince, nous retrouvons les éditions La Contre Allée avec deux nouveautés intitulées respectivement Un fil rouge et La
Révolution des
Casseroles, parues il y a quelques mois à présent dans chacune de leurs
deux collections.
Un fil rouge, est le premier des quatre romans de Sara Rosenberg.
Publié 1998 en Espagne, inédit en France, traduit par Belinda Corbacho, il est
sorti le 4 octobre dernier dans La Sentinelle ,
collection qui entend porter « une
attention particulière aux histoires et parcours singuliers de gens, lieux,
mouvements sociaux et culturels » au sein de la Contre-Allée.
« Puzzle narratif et labyrinthique », le récit se déroule progressivement, à la manière d’une bobine de film, au gré des témoignages. Celui de José qui évoque le travail et les groupes d’entraide et avoue combien il est difficile de « nager entre deux eaux » : celle des amis du syndicat et celle de l’argent fourni par « la pince », ce système de renseignement généralisé auquel nul n’échappe. Celui de Marcos, dit le familier, qui évoque les affaires prospères du père de Julia et les lubies de celle-ci. Celui de Trinidad qui présente le point de vue des femmes, leurs sentiments et sensations, celui des hommes et leur sens du devoir. Ou encore celui de Natalia devant
Ce procédé de la biographie orale nous laisse ainsi découvrir les différentes facettes d’un personnage, esquissant par là même le portrait complexe d’une héroïne absente, sorte de puzzle auquel la démarche du narrateur redonne corps. Entre les interstices de ces « enregistrements », émerge en effet progressivement, avant de s’imposer tout à fait, la parole, plus poétique, moins politique, plus imagée, de Miguel. Ami d’enfance de Julia, il se remémore les moments privilégiés de leur relation pour mieux commémorer le combat de celle-ci et de ses camarades au travers d’un film rassemblant les éléments recueillis.
A
travers la vie de Julia, c’est évidemment l’histoire de tout un pays, de toute
une époque, dans ses contrastes et ses contradictions, qui se dessine. Julia
qui, telle Antigone, mue dans une folle, mais consciente résolution, incarne un
amour et une liberté dont l’absence se fait cruellement sentir. Julia dont l’existence n’est plus attestée que par ses quelques écrits - des notes laissées en marge de quelques
livres aux lettres qu’elle échange avec son ami - ainsi que par ceux qui conservent son souvenir, rappelant l’importance
de la mémoire, à l’instar d’Isaias,
le grand-père : « Nous oublions
notre histoire. Ici tout le monde croit que les choses sont ainsi par la
volonté de Dieu, des rois ou de je ne sais trop qui. Si les gens sortent dans
la rue et risquent leur vie, ce n’est pas pour le plaisir, c’est parce qu’ils
n’en peuvent plus. Voilà ce qui est en train de se passer ».
Ainsi,
parce qu’elle apparaît dans toute son humanité, Julia, plus qu’un symbole
désincarné, permet d’interroger la place de l’individu dans l’histoire, dans la
résistance à l’oppression, valable en tout temps et en tous lieux. Une question
qui passe par l’analyse des causes, parmi lesquelles l’accaparement qui pousse
à l’endettement puis au vol, encouragés par l’exemple de la publicité et de la
corruption que dénonçait il y a déjà cinq cents ans le juriste et humaniste
Thomas More dans son Utopie : « Que faites-vous donc ? Des voleurs,
pour avoir le plaisir de les pendre. » Une question qui passe aussi
par l’analyse des conséquences de l’engagement, de la fin et des moyens, ainsi
formulée par l’un des membres du Weather Underground : « jusqu’où sommes-nous prêts à
aller ? ». Un fil rouge qu’il s’agit en somme non de fuir comme un
animal pris au piège, mais de suivre et de voir venir afin de ne pas se laisser
encercler.
Je
tiens une nouvelle fois à remercier La Contre
Allée , et tout particulièrement Benoit, pour cette
découverte, et vous donne rendez-vous très prochainement avec La Révolution des
Casseroles de Jérôme Skalski, qui
aborde la question de la mise en œuvre de la nouvelle constitution islandaise.
D'ici là vous
pouvez retrouver Sara Rosenberg accompagnée de Belinda Corbacho le vendredi 18
janvier à 19 h dans le cadre d’une rencontre à la librairie Palimpseste (Paris 5e) ainsi que le samedi 19
janvier à 10 h 45 à l'Institut d'études ibériques et latino-américaines pour
participer à la
Journée "Gradiva"sur
le thème les paradigmes masculin/féminin sont-ils encore utiles ? (Tout
le Programme ici.)
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