samedi 9 février 2013

W ou le souvenir d’enfance, Georges Perec

W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec, est un récit qui commence sur une île. Qui rappelle L’Utopie de Thomas More ou le Neverland du Peter Pan de J.M.Barrie. Où les enfants perdus, d’abord laissés à eux-mêmes, deviennent ici les athlètes d’un idéal mis en lumière par Leni Rie­fens­tahl dans Olympia. Qui se termine à l'ombre d'une dystopie dont les conséquences évoquent bien davantage le Nuit et Brouillard d'Alain Resnais. Un drame dévoilé au gré d'une construction savante, difficile d'accès et plus encore à suivre, entre notes correctives et anecdotes anodines en apparence, mais essentiel pour comprendre la démarche de l’écriture autobiographique en général et celle de Perec en particulier ainsi que ses liens avec l'introspection et la psychanalyse, à l’instar de L’Age d’homme de Michel Leiris.


C’est en 1975, près de dix ans après Les Choses qui l’ont révélé, un an après l’adaptation par Bernard Queysanne d’Un homme qui dort (chronique et vidéos ici), et trois ans avant la consécration de La vie mode d’emploi, que Perec fait paraître ce W ou le souvenir d’enfance, que l'on retrouve aujourd'hui dans la collection Imaginaire de Gallimard, composé de deux récits alterné, très différents et cependant, ainsi qu’il le déclare lui-même, « inextricablement enchevêtré » comme nous allons le voir.

Le premier est constitué de l’histoire de Gaspard Winckler qui revient sur son passé sans parvenir à réunir ni preuve ni date, récit fragmentaire dans les faits, mais précis dans le dialogue qu’il entretient avec un mystérieux contact nommé Otto Apfelstahl qui le charge de retrouver celui dont, déserteur, il aurait usurpé l’identité et qui, en fuite ou abandonné, aurait survécu à un naufrage. Cette quête dont il se dit « témoin et non acteur » va alors le mener dans une seconde partie à révéler ce qu’il sait d’une île appelée W, prétendument fondée par un certain Wilson, constituée de Wasp, gouvernée par le Sport.


Une île où les règles seraient arbitraires, les affrontements entre individus ou villages sauvages, la et les disciplines strictes, les récompenses somptueuses, les punitions cruelles, la loi aussi implacable qu’imprévisible. Une société de maîtres et d’esclaves, inspirée des sociétés antiques et des méthodes concentrationnaires, illusoire, dérisoire, où l’effort de chacun ne sert qu’à les réduire tous et qui fait l'objet d'une description longue et précise qui tranche avec ce que le narrateur dit ignorer de sa propre identité. 

Le second se présente comme une enquête visant à reconstituer l'élaboration de ce récit, mais aussi des souvenirs de l'auteur lui-même à travers celui-ci. De cette mise en abîme qui commence avec l'affirmation d'une amnésie (« Je n'ai pas de souvenir d'enfance »), de l'histoire de celle-ci, de ses antécédents familiaux, du chemin entreprit pour recouvrer une mémoire occultée et révélée tout à la fois par la « grande histoire » et par le récit imaginé par l’enfant qu’il fut, va naître une anamnèse, mais aussi le constat d'un indicible. 


C'est d'abord en posant successivement les souvenirs et les photographies qui lui restent, en analysant leur construction, en tentant de délier le vrai du faux puis, dans une seconde partie, en tentant de relier ces éléments, de recréer les rapports qui auraient pu exister entre les actions, les lieux, les gens qu'il a connus, que l'auteur va réellement établir un édifice capable de rendre compte de cette mémoire et, à travers lui, bâtir une histoire où règne l'importance non du sens, mais des signes, des mots, des symboles, des détails.

L’ensemble, alterné, divisé en deux parties séparées par trois points de suspension, rassemble ainsi nombres d’éléments particuliers et à part entière qui ressurgissent sans cesse dans l’œuvre de Perec, parmi lesquels l'importance du classement, de la typographie, de la contrainte, du vrai, du faux, jusqu'au personnage même de Gaspard Winckler que nous retrouvons dans La vie mode d’emploi ou Le Condottière. Mais c’est surtout la perte et l'insécurité liées à la mort et à la déportation de ses parents qui transparaît tout du long, et notamment dans l'évocation du passage sur W d’enfants insouciants et libres à un âge adulte qui constituera leur réalité et leur apparaît d’abord comme un cauchemar inconcevable et incompréhensible avant de les condamner à un espoir trompeur et à un silence forcé. 

Photos extraites d'Olympia de Leni Rie­fens­tahl.

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