Après un
mois d'avril dédié à la musique, après un
mois de mai rétrospectif commémorant les cinq
ans du blog, après la présentation de la rentrée littéraire le Tripode et Verdier, nous poursuivons enfin notre belle série
commencée à l'aube du printemps et consacrée au cycle des Contrées de Jacques Abeille édité par Le Tripode avec Les
Barbares.
« Ils
n'arrivaient pas seuls mais eurent tôt fait d'être les maîtres ».
Aussi, après avoir été autant pressentis que craints dans Les Jardins statuaires et Le Veilleur du jour, Les Barbares
qui donnent leur nom à ce troisième volume du cycle des
Contrées occupent désormais Terrèbre, la capitale.
Offerte à
eux par des manigances politiques, des soldats séditieux et une
population par trop licencieuse, la ville déchue dont l'auteur nous
décrit la vie quotidienne est tout d'abord le théâtre des
faits et gestes des nouveaux venus. C'est ainsi que nous découvrons,
quoiqu’étrangers encore, avec tout le lot d'interrogations et
d'incompréhension qu'ils suscitent, les envahisseurs dans leurs
œuvres et dans leurs mœurs, leur souveraine indifférence à la
concupiscence, leur dédain des richesses, leur équanimité tandis
qu'ils redessinent le maillage de la capitale au mépris des citadins
et tribuns survivants corrompus par la peur et le vice.
L'exposition de cette société nouvelle, par un procédé qui rappelle celui des Jardins, nous parvient grâce au narrateur, professeur élève d'Evariste Destrefonds que nous avions rencontré dans le Veilleur et qui, pour mémoire, nous mettait en garde contre l'agitation politique. Soucieux de faire prévaloir le rêve et le jeu contre « l'esprit de sérieux utilitaire », ce dernier charge notre héros d'apprendre la langue des barbares puis de traduire le dernier livre des Jardins statuaires remis à lui par un mystérieux cavalier. C'est alors que se rejoignent la légende des Jardins, celle du voyageur et celle du Prince des steppes qui entend coûte que coûte retrouver celui-ci grâce à notre narrateur qu'il entraîne avec lui dans une formidable équipée à travers les Contrées. Un voyage fantastique qui nous mènera à l'origine des Barbares, du Veilleur et, peut-être, à celle du premier voyageur, des Jardins et des premières statues.
L'exposition de cette société nouvelle, par un procédé qui rappelle celui des Jardins, nous parvient grâce au narrateur, professeur élève d'Evariste Destrefonds que nous avions rencontré dans le Veilleur et qui, pour mémoire, nous mettait en garde contre l'agitation politique. Soucieux de faire prévaloir le rêve et le jeu contre « l'esprit de sérieux utilitaire », ce dernier charge notre héros d'apprendre la langue des barbares puis de traduire le dernier livre des Jardins statuaires remis à lui par un mystérieux cavalier. C'est alors que se rejoignent la légende des Jardins, celle du voyageur et celle du Prince des steppes qui entend coûte que coûte retrouver celui-ci grâce à notre narrateur qu'il entraîne avec lui dans une formidable équipée à travers les Contrées. Un voyage fantastique qui nous mènera à l'origine des Barbares, du Veilleur et, peut-être, à celle du premier voyageur, des Jardins et des premières statues.
Plus que
jamais au sein du cycle des Contrées, il y a ici des
histoires de mémoire, d'échos et de miroirs, des rêves de petits
garçons et de grands hommes, de petites filles, de femmes et
d'amazones, d'iniquités et de vengeance, de promesses, de légendes
et de prophéties, d'amour et d'amitié, de vie et de mort, de
voyageurs et de livres rencontrés ou attendus. Nous retrouvons
également la guilde des hôteliers, les forestiers, les bûcherons
et les charbonniers, mais aussi les bergers, les pêcheurs et, bien
évidemment, les jardiniers : tout un monde organisé, codifié,
constitué de rites et d'animosités ancestrales. Nous renouons avec
le rôle initiateur de la femme
concernant tout ce qui touche au corps et au cœur (« Vous
comprenez, ce sont les mains d'une femme qui donne sa peau à un
homme. »), celui de
l'épouse, celui plus particulier encore de la nourrice et,
avec elles, la question de
prostitution, de l'infidélité, de la jalousie, des liens et du
sang, celle de la virginité perçue très intelligemment comme un
problème d'homme, comme dirait Ferré au sujet de la mélancolie et
de la tragique « maladie à la mort »
qui touche parfois les
amants.
Aussi Les
Barbares, à
l'instar de ses précédents, est-il un roman tout à la fois
tragique, épique, enflammé, drôle, romantique, érotique,
intelligent, réfléchi et rythmé. Les descriptions sont plus
variées encore qu'elles ne l'étaient par le passé, plus belles et
plus justes, entre le bleu du ciel et l'âpre poussière, le cours de
l'eau et la fougère, auxquelles s'ajoutent la question du climat et
celle des frontières. L'on retrouve également les rapports étroits
qui existent entre l'homme, la terre, la pierre et les statues, les
paysages intérieurs et extérieurs, leur influence réciproque, la
place des ruines, à mi-chemin entre nature et constructions humaines
qui s'offrent à la vue et à l'imagination. Il n'est plus temps de
butiner, d'aller à son rythme au gré du monde persistant imaginé
par le grand Jacques. On est ici au cœur de l'écheveau, de la toile
tissée par Abeille et dans laquelle le lecteur se laisse prendre
sans jamais s'emmêler, avec une connaissance plus sûre et plus
sympathique des Contrées toutes entières, une familiarité qui
cependant se laisse régulièrement surprendre. Les
personnages et leurs mobiles sont toujours plus complexes et plus
sensibles, les us et coutumes
plus étrangers et plus
subtils encore qu'il n'y
paraît.
Plus que jamais, la vie intime est au cœur des préoccupations de ce nouveau voyageur, au cœur de ses actions aussi, qui voient jaillir pour la première fois l'érotisme jusqu'ici contenu dans les précédents volets du cycle des Contrées pour s'arrêter cependant, eu égard aux amants, au seuil de ce que l'impudeur amoureuse pourrait plus crûment révéler. Les Barbares constituent ainsi la poursuite dense, riche et prenante, d'une grande épopée, la continuité d'un cycle monumental, d'un grand roman d'aventure labyrinthique et entraînant. Où la fantasy mythologique du Seigneur des anneaux rejoint le mythe dépaysant de Lawrence d'Arabie. Où l'on voit, où l'on vit, à travers des paysages, des visages, des figures, des amours connus mais toujours renouvelés. Où la majesté et la démesure du prince n'ont d'égal que sa folie et ses enfantillages, « l'inconduite des femmes » leur fierté, leur indépendance et leur beauté. Où se pose encore et toujours la question de l'écrit, de la transmission par les livres, gardiens de la mémoire et de la civilisation car, si « la pérennité de la chose écrite peut fasciner bien des gens, elle n'impressionne guère un homme qui agit sans cesse dans le présent ».
Plus que jamais, la vie intime est au cœur des préoccupations de ce nouveau voyageur, au cœur de ses actions aussi, qui voient jaillir pour la première fois l'érotisme jusqu'ici contenu dans les précédents volets du cycle des Contrées pour s'arrêter cependant, eu égard aux amants, au seuil de ce que l'impudeur amoureuse pourrait plus crûment révéler. Les Barbares constituent ainsi la poursuite dense, riche et prenante, d'une grande épopée, la continuité d'un cycle monumental, d'un grand roman d'aventure labyrinthique et entraînant. Où la fantasy mythologique du Seigneur des anneaux rejoint le mythe dépaysant de Lawrence d'Arabie. Où l'on voit, où l'on vit, à travers des paysages, des visages, des figures, des amours connus mais toujours renouvelés. Où la majesté et la démesure du prince n'ont d'égal que sa folie et ses enfantillages, « l'inconduite des femmes » leur fierté, leur indépendance et leur beauté. Où se pose encore et toujours la question de l'écrit, de la transmission par les livres, gardiens de la mémoire et de la civilisation car, si « la pérennité de la chose écrite peut fasciner bien des gens, elle n'impressionne guère un homme qui agit sans cesse dans le présent ».
Et
cependant, parce que « les
mots commandent », le
secret est souvent de mise, de même que la pudeur, chez ces
cavaliers dont la civilité et l'honneur l'emportent souvent sur
celle des Terrèbrins
et parfois même sur celles
du professeur. Et puis parfois, aux détours de cette quête
qui prend progressivement
l'allure d'une enquête
pleine de péripéties, de rebondissements, de mensonges et de
dissimulation, de fausses pistes et de faux-semblants, l'on se
met à douter. Le voyageur, les Jardins mêmes, n'auraient-ils jamais
existé, sinon que dans un livre ? Ce monde ne serait-il pas un
rêve et ce livre « l'œuvre d'un fou » ?
C'est pourquoi sans doute l'on redoute de quitter celui-ci.
D'ailleurs c'est un livre qui se lit d'un trait de carreau, un livre
« pour grand lecteur » me disait Lou, un livre
dont le rythme nous est dicté par les étapes du voyage, qu'on ne
peut lâcher sans risquer d'être lâché par lui. Un livre, enfin,
qui vit, qui parle, qui nous entraîne avec lui loin des garde-fous,
nous pousse à éprouver notre propre subjectivité, notre propre
subjectivité en épousant la sienne.
« Je
suis un homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger ».
Rarement la phrase de Térence n'a trouvé plus juste illustration
que dans l'œuvre de Jacques Abeille, qui met en exergue par
l'éclairage des analyses de son narrateur tous les ressorts de la
vie humaine et de ses relations à la lumière du Vrai, du Bien et du
Beau, avec pour corollaire un profond mépris à l'égard des
« garde-chiourmes » et de l'arbitraire, une
dénonciation du mercantilisme et des crimes environnementaux. Et
puis, à l'instar et cependant à l'opposé du parlenigm d'Enig
marcheur, la langue d'Abeille est communicative, incitative. Elle
doit être dite pour être ressentie. D'ailleurs à force de lire et
d'écouter Abeille l'on serait tenté – tant s'en faut – de
parler comme lui. Enfin ces Barbares avec un grand B nous rappellent
tous ceux qui les ont précédés, les peuplades nomades, les
Vikings, les Berbères, les Sikhs aussi, à la rencontre desquels
nous sommes allés lors de notre voyage en Inde l'été dernier, pays
dont le souvenir m'est également revenu à l'évocation luxuriante
et ramassée d'édifices qui m'ont rappelé ceux de Gwalior et de
Khajurâho.
Témoin
tardif mais privilégié de l'histoire des Contrées et du Prince,
personnage très contemporain en ce qu'il cherche une place qui ait
du sens au sein des sociétés qu'il intègre bon gré mal gré et
qu'il explore à cette fin, le héros des Barbares nous offre
un récit total et vivant constitué à partir du journal qu'il tint,
récit où la nostalgie du vieil homme qu'il est devenu le dispute
parfois, progressivement, à la vivacité des souvenirs du jeune
homme qu'il était. A travers eux, à travers lui, à travers tous
les exilés de ce roman initiatique, Jacques Abeille interroge de
façon intemporelle, et donc très actuelle, l'évolution de la
culture vers la civilisation et les rapports qu'entretient notre
société avec ses citoyens et avec les sociétés qui l'avoisinent
de près ou de loin. Qu'est-ce que la barbarie ? Où
réside-t-elle ? En quoi consiste-t-elle ? Qui vise-t-elle
et pourquoi ? Autant de questions qui se posent et se poseront
davantage encore lors du prochain volet du cycle des Contrées.
En
attendant de retrouver celui-ci, l'édition proposée par Le Tripode
et que Frédéric Martin avait déjà menée à bien à
l'époque d'Attila, fait ici encore l'objet d'une attention
particulière avec cette couverture de Schuiten montrant un feu de
camp entouré de cavaliers et de chevaux paissant — « vaguant »
pour reprendre l'expression de Jacques Abeille — entre les ruines
de ce qui pourrait être l'abbaye de Terrèbre. Ici la carte devient
le territoire, que l'on découvre dans son entier à la fin, dont les
détails accompagnent à point nommé et très à propos chaque
entrée de chapitre, mêlant avec brio la topo et la typographie et
traçant des sillons sur la tranche de l'ouvrage.
D'autre
part, tandis que l'ordre des parutions autrefois proposé par
l'auteur et son précédent éditeur proposait Les Voyages du fils
et les Chroniques scandaleuses de Terrèbre à la suite des
Jardins et du Veilleur, Attila puis le Tripode ont
choisi d'aller directement à la rencontre des Barbares. Un
choix très judicieux,
ce troisième volet du
cycle ayant la particularité de se proposer indifféremment,
narrativement et chronologiquement, comme la suite directe de chacun
des deux précédents avant d'introduire le dernier tome – les
précédents devant suivre, à commencer par la réédition prochaine
de la version Schuiten des Jardins — du cycle des
Contrées publié par Le Tripode intitulé La Barbarie.
D'ici là,
à quelques jours de la Fête qui lui est dédiée, j'ai le plaisir
de vous annoncer que nous retrouverons la musique, ainsi Le Mot et le reste, dans moins d'une quinzaine de jours pour la suite de cette
autre belle série qui mettra à l'honneur, après le Tome I, le Tome II des Musiques
savantes de Guillaume Kosmicki, en vous souhaitant d'ores et déjà à
toutes et à tous un bon début d'été.
Extraits
et illustrations © Le Tripode, Jacques Abeille, François Schuiten
et Pauline Berneron
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