Le silence avant l'explosion, le calme avant la tempête, et pendant. Retour à l'essentiel, aux éléments. Impression (soleil, le vent). Sensations, sentiments : pour qui sont ces. Visions, disons. Pour l'heure, le temps. Celui qu'il fait, qui vient, qui passe. Puis le tonnerre, soudain, dans un déchirement. La chute, les genoux en sang, ou tout comme : l'épaule, la hanche. En jouer comme des mains et des coudes pour rejoindre les chemins de l'enfance. Des sentes déjà, l'instant d'avant. Revenir sur les lieux, l'effet, les événements. En quête de la forme apparue au fond de la grotte à la petite Bernadette Soubirous, de son interprétation et de ses variations avec le fort très bel Aquerò de Marie Cosnay, sorti le 2 mars 2017 chez Les Editions de l'Ogre.
« Cette fois, ce n'est pas une dégringolade, technique, c'est une dégringolade superémotive.
Ce que j'ai vu je l'ai vu. J'ai cru le voir et je le revois. Le voir du fond du trou ou de l'état hyperémotif de l'enfance ou adolescence. »
Couleur, instants coulants. Comme s'échappant : un moment. La réalité de la perception, si subjective soit-elle — pour autant qu'elle le soit. Et après, pour ce que cela vaut/fait. De la vie, en veux-tu, en voilà, de cette fillette devenue. Femmes dont celle insaisissable que l'on voudrait qu'elle v(o)it. De ses yeux ronds comme des, comme deux. Ronds dans l'eau — « Restaient les grenouilles, ça m'allait mais ça m'allait un peu triste. » Un craquement, nom d'un chien, d'un cerf, non : d'une biche — « Dans l'histoire de cette histoire il n'y a pas de masculin. » Face à l'Histoire, l'histoire qui entoure cette histoire – psychanalyse de contes défaits, entre Alice au pays des merveilles, Enig Marcheur et Le Petit Poucet – est belle et vraie, sincère, sensible et insensée, féminine et indicible. Qu'on se le dise : « il n'y a pas que les mots. » La bio de Bernadette Soubirous, la vie sans l'écrit, présence irradiée de joie, se situe bien au-delà des maux — la Vierge, si tant est qu'elle le soit, page entre les pages, n'écrit pas plus qu'elle ne se laisse écrire ou accroire. Soit : la littérature sinon rien.
« Faire comme on apprend à faire, les choses pour les faire,
sans regarder les choses ni l'amour ni le goût que j'ai de les faire ?
Tu m'étonnes, tes migraines et ta nausée. »
Alors, aller au miracle, comme l'on va. Au charbon retracer. Le parcours – initiatique, cela va de soi – de la première à la troisième en passant par la seconde personne. Où l'on naît, suit, ne fait qu'un avec les d(i)eux. Comme déesses, avatars : la fillette & la femme & la guide au lézard & la petite dame d'y(/i)voir(e). Procéder par & – retourner, répéter, différer, bifurquer, ajourner (« j'ai toujours su que la journée, je ne dis pas la vie, mais la journée, modeste, il faut la faire tenir et c'est du boulot ») dans un mouvement elliptique – com(m)e on. Balise devant, les corps morts comme repères, aber(rant)s — « pour un peu je voyais la mer ici même ici au milieu des champs je voyais la mer et les langues de feu par-dessus, fâchées, serpentantes, rouges. » Chercher à sortir de la boucle temporelle/ale (image fuyante des tempes de la demoiselle qui s'échappent du voile).
« des choses comme ça on n'y croît jamais
jusqu'à ce que. »
jusqu'à ce que. »
Tours et retours et tournis : ritournelle. Phrases qui s'interrompent, abruptes comme des falaises, comme la lumière à l'entrée de la grotte, pour mieux réapparaître. Ici, l'ellipse règne plus que jamais peut-être dans l'œuvre de Marie – Sanza Lettere ceci dit – ainsi qu'une certaine folie et un humour certain – « Le mal nous poursuit, la folie nous poursuit, une montagne nous tombe dessus comme un gros singe alors qu'on est pas chez les gros singes. » Mais aussi, comme souvent, le thriller et la mythologie, de Cassandre à Proserpine, de Cordelia la guerre à la nouvelle traduction des Métamorphoses d'Ovide qui verra le jour à la rentrée prochaine. (E)cho(e)se d'autres livres. Ecchymoses d'une autre actualité, internationale comme personnelle. Intertextualité, expérimentation, expérience — de lecture, mais pas seulement. L'éducation et la vie, le doute et la crise de foi, la crainte de la mort et de la maladie comme l'on se baigne, deux fois dans les mêmes eaux. Lourdes, de sens, de sang et d'os.
« Est-ce que j'avais bien lu ? Bien compris ?
Bernadette et ses petites sœurs massaient des branches pour le feu et la vente.
Et des os. »
Comme toujours, avec Marie pour guide, l'on sait où l'on est, et avec qui, mais jamais où ni comment l'on va : il faut s'abandonner — carpe diem et tout ça. (Se) perdre et (re)trouver — la voix/e qu'il faut prendre/donner pour cela. La petite fille ici, prend et donne, le pas comme le la, s'abandonne parfois. Au songe, à la vision qu'elle reçoit. La femme, à l'indolence, au désespoir. Qui la taraudent parfois, qu'elle cherche à caractériser, à adjectiver plutôt qu'à objectiver. Qui s'échappent pour mieux la happer — « Mon dieu, à dix-sept heures dans la grotte, je dis que tout est tordu et négligé. Négligé me brise en morceau. » Intimité de la grotte et des rêves, exploration de l'inconscient/de terrain. Remords et regrets, peurs et pleurs, épuisement des filles et femmes (at)terrées qui toutefois affrontent avec courage l'ordinaire et l'extraordinaire, le jugement et l'opinion, la terreur divine et l'interrogatoire dit vain.
« C'était un bon rêve de lumière —
cela dit on n'était pas plus avancé à propos de Massabielle et de Bernadette. »
cela dit on n'était pas plus avancé à propos de Massabielle et de Bernadette. »
Wake up, little sparrow. Don't make your home out in the snow. Il s'est passé/se passe/se passera. Quelque chose. A l'intérieur de. La grotte/Bernadette/la narratrice. Récit torique, prosopopée gigogne — « (il m'appelle poupée, je préviens), accroche-toi poupée, on va décoller ». Cigogne ? Moineau – « un moineau qui parle la langue interdite que parlait Bernadette et que je ne comprends pas, mais je fais un effort, soleil rouge, vent léger ». Quelque chose a/a eu/aura lieu. Non comme une délivrance, mais comme un recueillement, une recon-naissance/nexion, le surgissement d'une conscience altérée – apparition/déclic/illumination – au contact de ce qui était là auparavant – remembrance – comme en attente. Comme une voix/e, son et lumière à la fois. Quelque chose que l'on n'a pas vu/aurait pu voir venir, le Verbe après le verbe, le présent après l'avenir. Une immaculée conception, empreinte toutefois de tout ce qui l'entoure.
« Le blanc est très lumineux ça fait une peur qui est de la douceur.
Une forme est dans le blanc qui est tout ce que j'aime et me rend triste :
ne nous prends pas froid. »
Une forme est dans le blanc qui est tout ce que j'aime et me rend triste :
ne nous prends pas froid. »
De cette faille, grotte ou caverne, qui pourrait être celle de Platon, de Zarathoustra ou bien d'autres encore, pas une, mais la — comme on donne le la, comme Aquerò au lieu d'Aquera, et vice versa. Lieu ancien, antique, unique car archétypale. Quelque chose comme venu d'ailleurs qui aurait pu passer inaperçu(e), que B.S. reçoit comme de l'extérieur, mais qui parle à l'intérieur, à l'image de cette peinture pariétale qui représente bien davantage que ce que l'on pourrait voir/(pour le)croire. Quelque chose d'étrange et de fascinant, de sauvage et de primitif. Qui prend naissance/conscience dans la prime enfance. S'éveille à l'adolescence. Se caractérise par une affection, une concentration de la pensée, des émotions et des sensations réunies en. Quelque chose de plus que l'être qui trans-ap-paraît et se surprend parfois au détour du miroir, du quotidien, d'une promenade, d'une rencontre, d'une idée qui sourde par intermittence puis jaillit. Quelque chose de naïf et de puissant. Fait de rites et de mystères qui se répondent en silence. Non de crypté, mais de cryptique, ontologiquement.
« J'ai peur d'aller jusqu'au bout.
Je suis coupée comme une herbe des champs. »
Autrement dit : littéralement. Qui tient du signe et de leur interprétation, ou non. Historiquement : ne m'en parle pas. Qui échappe aux hommes, et plus encore à ceux qui ne sont que rôles d'hommes à rollets, goussets, Rolex ou presque, en un mot : enrôlés. Abbés ou commissaires, préfets ou vacataires, c'est tout un. Monde d'hommes bornés en chasubles ou chaussures pointues. Qui n'ont ni part ni goût à l'engouement que suscite la gamine en pleine période post-révolutionnaire – le printemps des peuples, déjà plus de saison – paters austères, flics et autres pervers, gardiens obtus de l'ordre établi contre le miracle qui le défie. Pour qui le devoir est de voir et de dire, quitte à. L'insulter – pute, folle, petite merdeuse. Grossir ou annihiler ce que la fille voit, pour pouvoir. Tirer tout ça – chambre noire contre sabres – au clair. Le ou la saisir. La posséder. Et avec elle toutes les représentations qui suivront – « Pourquoi vous lui avez fait ce goitre ? Puisque je vous dis que c'est une enfant ! » Et les mèches que l'on coupe comme en quarante, et les marchands du temple.
« Non, non et c'est tout, ça se passe pas comme ça
messieurs les vieux et tristes sires qui nous tenez bec dans l'eau dans la boue,
fortiches et tristes sires qui baisez les franges des manteaux des filles. »
Bernadette n'ira plus dit le père, dit le commissaire, et cependant elle ira jusqu'à quinze fois, niera un peu plus tard – après être rentrée dans l'[es] ordre[s] – on ne l'y prendra plus. Toute en corps (le corps n'est qu'une plaie) et tout jour (la lumière, idem et ibidem), avec force, nostalgie, douceur et tendresse, Bernadette s'échappe et s'affirme par la voix et la langue de Marie Cosnay. Une langue hautement fémin-ine/-iste, poé-/li-tique et sociale. Une voix aux accents si particuliers qui, si on l'a entendu une fois, marque à jamais l'écrit puis la lecture. Qui, denses, se mêlent, entremettent l'écrit et l'oral, glissent de l'invisible aux frontières du lisible, des lisières de l'audible à l'audace. Plongent aux racines, s'abreuvent aux sources. Murmurent et rient, osent et intiment. Psychologie des profondeurs, jeu de cache-cache entre l'adulte, son ombre, et l'enfant qui demeure et appelle du fond de cette grotte matricielle.
« Ma parole. Ces filles qui vont au miracle, y vont simples et sans couronne.
Il y a du visible où vous voulez tous de l'invisible. »
Faire un rêve peuplé de spectres aux premières pages du livre, que l'on relit en boucle jusqu'à retrouver le temps et l'énergie (libres). Refaire le chemin aux dernières, à la recherche d'une anfractuosité aperçue la veille en bord de mer. Renfoncement au fronton comme sculpté d'un soleil levant/d'une lumière éblouissante/du symbole point de vue — la nature imite l'art (de) nouveau. Pour se retrouver face à la peinture rupestre évoquée plus haut. Etale poétique magnifique, toute de stase et d'extase, Aquerò est un texte évocateur et inspirant, profond, puissant et beau, œuvre d'un genre à part, en soi. Hymne et tombeau, aria et adagio, peinture impressionniste à l'éclairage léger et certain, quoique furtif, qui demeure par l'impression laissée – un peu comme dans ces églises où l'éclairage des tableaux dure ce que dure la pièce introduite, mais dont le souvenir perdure, lumineux, au plus profond de soi. Comme le songe fiévreux et de la narratrice livré non en pâture mais en partage. Au lecteur, à la lectrice, à Hugues, à Thomas, à Lou, à Jean-Philippe, à Alain. A ces lectures, belles, diverses et toutes aussi personnelles qui se croisent, se complètent, abordent le sens, le politique, le paysage, le féminisme, la perception, la mémoire, la conscience, le souvenir d'enfance, la (re)création. A vous, enfin, qui lisez ces lignes, avez lu, lirez, cet ouvrage aux milles voix/es et mystères qui, quoique l'on puisse y voir ou y entendre, les contient tout entier mais répond au seul nom d'Aquerò.
Texte et photos © Eric Darsan
Extraits et citations et graphisme couverture Aquerò © Marie Cosnay, Les éditions de L'Ogre 2017.
Texte et photos © Eric Darsan
Extraits et citations et graphisme couverture Aquerò © Marie Cosnay, Les éditions de L'Ogre 2017.
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