Après un
court mais dense et beau passage chez Enig Marcheur et
Monsieur Toussaint Louverture, que nous retrouverons très bientôt
avec Vilnius Poker, nous poursuivons notre riche série dédiée
au Mot et le Reste qui, introduite par The LP Collection et
inaugurée avec le Prog 100 de Frédéric Delâge, nous conduit tout
naturellement à explorer aujourd'hui le Rock progressif
d'Aymeric Leroy.
Ces ouvrages à part entière, complets et cohérents, se prolongeant l'un l'autre sans jamais se répéter, bien que les entrées entre les deux apparaissent aussi multiples qu'évidentes, il s'agira non de procéder à une étude comparée mais de comprendre non seulement ce qui les différencie mais ce que nous pouvons apprendre de cette différence.
Ces ouvrages à part entière, complets et cohérents, se prolongeant l'un l'autre sans jamais se répéter, bien que les entrées entre les deux apparaissent aussi multiples qu'évidentes, il s'agira non de procéder à une étude comparée mais de comprendre non seulement ce qui les différencie mais ce que nous pouvons apprendre de cette différence.
Suites et concept : deux mots qui définissent le prog et la façon de l'aborder. Pour commencer disons que, si la définition d'Aymeric Leroy rejoint celle de Frédéric Delâge, là où le Prog 100 se fait inépuisable, Rock Progressif se veut intarissable en traitant moins de groupes sur deux fois plus de pages. De sorte que, si le premier propose une approche directe et auditive du mouvement en privilégiant sa diversité et son influence des précurseurs aux héritiers, le second s'impose au contraire comme le récit fondateur d'un genre opportun et par conséquent tributaire des inflexions et accointances qui l'ont vu naître. Pour Frédéric Delâge le rock progressif est partout présent, pour Aymeric Leroy il a disparu depuis longtemps. Et c'est sur ce postulat qu'il entend élucider l'« énigme » qui le constitue.
Cette
volonté à la fois
« historique et artistique »
prend corps dans chaque
partie de l'ouvrage, d'abord par un rappel des faits, c'est à dire
du contexte, puis en explorant
un a un les albums choisis de façon parfois très exhaustive
(jusqu'à six pages pour le « Close to the edge »
de Yes), les deux aspects se mêlant au cours de l'ouvrage pour ainsi
dire progressivement. Ce procédé permet judicieusement de
mesurer non seulement l'évolution de chaque groupe à travers sa
production à la manière d'un « rapport d'étape »,
mais aussi celle de la scène progressive au même moment au travers
des rapports qu'ils entretiennent. C'est ainsi qu'Aymeric Leroy
commence par décrire l'émergence de groupes au sein du contexte
favorable qu'offre principalement la scène britannique en 1969 avec
« A king is born », puis l'
« effervescence » de 1970 et les « American
Dreams » de 1971 avant de présenter les « Masterworks »
de 1972 et les « Dinosaurs de 1973 », parmi
lesquels Genesis, Yes et ELP
à l'aune desquels l'auteur,
spécialiste de l'Ecole de
Canterbury, semble
curieusement vouloir
mesurer toute la scène, tout
en constatant qu'avec eux, déjà, « les premières
fissures apparaissent dans l'édifice ».
Pink Floyd, Live at Pompei (1972)
Somme, pour
ne pas dire synthèse, conséquente de 450 pages, le Rock Progressif d'Aymeric
Leroy aborde l'histoire du mouvement sous
l'angle d'une longue chute, entre mépris et nostalgie. « Il
y a naturellement une forme de travail de deuil, avec ce que cela
peut avoir de désagréable, voire de déprimant, dans l'acceptation
de l'idée que la révolution musicale des années 60 et 70
appartient à un passé révolu et qu'on en connaîtra jamais plus
d'équivalente ». De fait,
plus on avance dans le récit et plus la chronologie cède le pas à de nombreux retours en arrière. Considérant que les années 80 marquent la fin
du mouvement, Aymeric Leroy explore la première décennie, année par
année, sur les trois quarts de l'ouvrage et les trente dernières années, par décennie, sur moins de soixante pages. Deux blocs intitulés « Prog Abroad »
placés respectivement après 1973 et 1976, davantage semble-t-il par
souci d'équilibre que de contexte, complètent cet édifice.
Regroupant moins d'une dizaine de pays, ils accordent une place aussi
large que passionnante à la France dont certains groupes ont fait
école, comme Magma ou Gong, ainsi qu'au label Muséa dont j'avais
commencé par vous parler.
Gong, Angel's Egg (1973)
A travers
ce long et riche parcours, l'on découvre quantité d'informations
concernant les line-up, le nombre d'exemplaires vendus et le
classement aux charts, mais aussi et surtout les interactions réelles
entre les différents acteurs de la chaîne musicale, des maisons de
disques aux labels ; des attachés de presse aux directeurs
artistiques, agents et managers ; des lieux, clubs et salles de
concert aux relais médiatiques, radio, fanzines et magazines
spécialisés en passant par les magasins avec une place privilégiée,
je dirais à juste raison pour y avoir travaillé, à Virgin. L'on y
retrouve également avec bonheur la constitution de
« l'instrumentarium » et de la « boîte à
outils » progressive à travers la pratique de la longue
suite et de la citation constitués au gré des emprunts effectués
au jazz, au classique et aux musiques savantes, aussi bien en terme
de répertoire (Boléro de Ravel, de Bach, Bartok et Janacek) que de
vocabulaire (« coda », « contrapuntique »,
« grande forme »). Inspirant du point de vue de
la composition il offre également, comme le Prog 100 et The
LP collection, des pistes aux idées et un terrain aux
expérimentations musicales.
ELP, Works (1977)
Par son
parti pris et son positionnement, Rock progressif est donc un
ouvrage de référence qui possède les qualités et les défauts de
la scène qu'il traite, l'immersion et le foisonnement qui le
caractérisent induisant tout à la fois une émotion et un manque de
recul étonnant malgré une connaissance et une lucidité certaines.
Si bien qu'au-delà du parti pris chronologique pur, en fait
d'histoire, Aymeric Leroy, en vrai passionné, cède souvent aux
apartés, parenthèses et anecdotes, se montrant aussi complet dans
les faits qu'expéditif dans ses jugements. Usant du ton et de
l'autorité d'un vieux briscard, à l'instar d'une certaine presse
spécialisée à laquelle il octroie une large place, il n'hésite
pas non plus à charger celle-ci (« hallucination
collective », « argumentation laborieuse »,
« conclusion d'une banalité confondante »). Dans le
même ordre d'idées, bien que publié en 2010 et réédité en 2014,
Rock progressif se fend en conclusion de considérations déjà
erronées concernant les possibilités d'Internet et ce malgré, et
peut-être à cause, du caractère pionnier de Calyx, son propre
site, créé en 1996. Ce qui n'enlève rien, bien au contraire, à
l'apport purement historique au genre de cet ouvrage angulaire qui constitue une référence incontournable en la matière.
Ultravox, Western Promise (1980)
Finalement,
tout en se débattant avec une approche dans le fond assez
restrictive du rock progressif, Aymeric Leroy ne manque pas de
provoquer en retour de judicieux questionnements. De même lorsque,
dépassant la cristallisation historique, les « revivals »,
« prog-pride », alt-prog, prog-métal, post-rock,
math-rock et autres « vélléités prog » l'auteur
concède « de surprenantes affinités » avec
le « rock progressif stricto sensu » à
des groupes tels que Dead Can Dance, Ultravox, Porcupine Tree,
Radiohead, allant jusqu'à qualifier le Mind d'Isildurs Bane de
« passionnant laboratoire d'innovation musicale »,
renouant ainsi avec qui
constitue, me semble-t-il, la
quintessence du prog progressif.
Tant et si bien, qu'au-delà du simple «constat
d'obsolescence du rock progressif »,
c'est plutôt de ce côté qu'il nous faut regarder, dans
l'ambition radicale de l'avant-garde (ou avant-prog, à ne pas
confondre avec pré-prog ou proto-prog), d'un Univers Zero ou dans
les hybridations atonales d'un Thinking Plague que j'ai découverts
avec plaisir à cette occasion et qui constituent à maints égards
un pont vers les « musiques nouvelles » dites
contemporaines.
Univers Zéro, Ceux du dehors (1981)
Là où
l'on ne peut tout écouter, il faut lire, ou dire, c'est à dire
composer. Depuis longtemps déjà m'apparaissent d'évidents
parallèles et croisements dans mon rapport à l'écriture et à la
musique, dans la pratique assidue de la première et l'écoute active
de la seconde. A mesure que j'avance dans ces chroniques, au plaisir
de voir ces deux domaines de prédilection se fondre dans un exercice
transversal, s'ajoute celui de voir se renforcer les fils ténus qui
relient tous les domaines artistiques. C'est là, enfin, que ce Rock
progressif intervient en posant, à travers les différences qui
séparent le concept de sa réalisation puis de sa réception, la
question du passage de l'oral à l'écrit, question qui
concerne non seulement la transmission, la conception mais aussi la
lecture. Cette question excellemment traitée en littérature par
Alberto Manguel dans Une Histoire de la lecture, nous
la retrouverons prochainement en
musique, magistralement exposée avec celle de l'individualisme, de
la subjectivité, de l'intertextualité et de nombreuses autres, par
Guillaume Kosmicki dans ses Musiques Savantes.
Thinking Plague, Moonsongs (1986)
En
attendant de nous retrouver pour cet autre laboratoire que
constituent les Musiques Savantes avec les Tome I et Tome II des ouvrages éponymes de Guillaume Kosmicki, toujours dans le cadre de notre belle série
dédiée aux foisonnantes éditions Le Mot et le Reste, je vous donne
rendez-vous dans une dizaine de jours pour le premier volume du cycle des contrées de Jacques Abeille, autrement dit les légendaires
Jardins Statuaires, en prévision du second tome intitulé Le
Veilleur du jour que le printemps verra poindre le 26 mars prochain aux éditions du Tripode.
Après l'inépuisable et stimulant Prog 100 et cette autre version du prog que constitue l'incontournable et imposant Rock Progressif, je vous propose en effet une petite pause, un entracte, un interlude à peine, d'un petit mois dans notre série musicale afin de retrouver à l'occasion du salon du livre et de son actualité, la littérature pure et dure avec Jacques Abeille et Ričardas Gavelis, respectivement publiés ce mois-ci au Tripode et Monsieur Toussaint Louverture.
Avec l'arrivée du printemps, le mois d'avril sera quant à lui consacré à la musique. Aux Musiques Savantes de Guillaume Kosmicki bien entendu, mais aussi à l'actualité d'Amaury Cornut, auteur de Moondog, en concert avec son groupe Minisym au Lieu Unique le 25 mars et en tournée un peu partout en France à l'occasion d'un cycle de conférence intitulé Moondog à travers le XXème siècle. Au dernier album de Raoul Sinier enfin, dont je vous invite en attendant à (re)découvrir les oeuvres dans la rubrique Musique.
D'ici là, n'hésitez pas à me rejoindre sur Facebook où, au fil de mes découvertes musicales et littéraires, je ne manquerai pas de partager avec vous de nombreux titres.
Après l'inépuisable et stimulant Prog 100 et cette autre version du prog que constitue l'incontournable et imposant Rock Progressif, je vous propose en effet une petite pause, un entracte, un interlude à peine, d'un petit mois dans notre série musicale afin de retrouver à l'occasion du salon du livre et de son actualité, la littérature pure et dure avec Jacques Abeille et Ričardas Gavelis, respectivement publiés ce mois-ci au Tripode et Monsieur Toussaint Louverture.
Avec l'arrivée du printemps, le mois d'avril sera quant à lui consacré à la musique. Aux Musiques Savantes de Guillaume Kosmicki bien entendu, mais aussi à l'actualité d'Amaury Cornut, auteur de Moondog, en concert avec son groupe Minisym au Lieu Unique le 25 mars et en tournée un peu partout en France à l'occasion d'un cycle de conférence intitulé Moondog à travers le XXème siècle. Au dernier album de Raoul Sinier enfin, dont je vous invite en attendant à (re)découvrir les oeuvres dans la rubrique Musique.
D'ici là, n'hésitez pas à me rejoindre sur Facebook où, au fil de mes découvertes musicales et littéraires, je ne manquerai pas de partager avec vous de nombreux titres.
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